Le Roi de l'hiver
tourner vers moi et de me
menacer de son œil valide.
— Derfel,
Père, de Dumnonie. Nous nous sommes rencontrés il y a deux ans. Je suis surpris
de vous voir encore ici.
— Ta
surprise ne m’intéresse pas, Derfel de Dumnonie. Qui plus est, je me suis
absenté quelque temps. Je suis allé à Rome. Un lieu pouilleux. Je pensais que
les Vandales auraient fait le ménage, mais la ville fourmille encore de prêtres
avec leurs gamins potelés, alors je suis rentré. Les harpistes de Ban sont
beaucoup plus mignonnes que les gitons de Rome. » Il me lança un regard
hostile. « Te soucies-tu de ma sécurité, Derfel de Dumnonie ? »
Je ne pouvais
guère répondre non, bien que je fusse tenté de le faire. « Mon métier est
de défendre la vie, fis-je d’un air assez suffisant, y compris la vôtre, Père.
— Alors
je remets ma vie entre tes mains, Derfel de Dumnonie. » Sur ces mots, il
retourna son affreuse trogne vers la table et écarta le chat de sa plume.
« Je m’en remets à ta conscience, Derfel de Dumnonie, et maintenant tu
peux disposer et aller te battre, et me laisser faire œuvre utile. »
Je voulus
interroger le prêtre sur Rome, mais il balaya mes questions d’un revers de main
et je rejoignis le dépôt du mur ouest, où je devais loger jusqu’à la fin du
siège. Galahad, qui se considérait maintenant comme un Dumnonien d’honneur, se
trouvait avec nous. Lui et moi essayâmes de compter les Francs qui reculaient
devant la marée montante après une nouvelle tentative pour découvrir une piste
à travers les sables. Chantant le siège d’Ynys Trebes, les bardes disent qu’il
y avait plus d’ennemis que de grains de sable dans la baie. Ils n’étaient pas
vraiment si nombreux, mais ils étaient tout de même légion. Toutes les bandes
franques de l’ouest de la Gaule s’étaient associées pour prendre Ynys Trebes,
le joyau d’Armorique, qui, disait la rumeur, abritait les trésors de l’ancien
Empire romain. Galahad estima que nous avions trois mille Francs en face de
nous ; d’après mes calculs, ils étaient deux milliers, mais Lancelot nous
assura qu’ils étaient dix mille. Quoi qu’il en soit, ils étaient très nombreux.
Les premières
attaques se soldèrent pour les Francs par une catastrophe. Ils trouvèrent un
chemin à travers les sables et voulurent prendre d’assaut la porte principale,
mais ils se firent repousser dans un bain de sang. Le lendemain, ils
s’attaquèrent à notre pan de mur, où ils reçurent le même accueil, sauf que
cette fois ils restèrent trop longtemps et qu’une bonne partie de leurs forces
furent emportées par la marée montante. D’aucuns essayèrent de regagner la
terre ferme en pataugeant dans l’eau et se noyèrent, d’autres se réfugièrent
sur la bande de sable de plus en plus mince qui s’étendait devant nos remparts
et se firent massacrer par les lanciers sortis sous la houlette de Bleiddig, le
chef qui m’avait conduit en Benoïc et qui dirigeait maintenant les vétérans.
Cette sortie à travers les sables était en contradiction formelle avec les
ordres de Lancelot, qui nous avait enjoints de ne pas quitter la cité, mais
elle fit tant de morts que Lancelot assura avoir lui-même ordonné l’attaque et
plus tard, après la mort de Bleiddig, il prétendit même avoir dirigé
personnellement les opérations. Les fili composèrent un chant racontant
comment Lancelot avait endigué la baie avec les cadavres des Francs, mais en
vérité le prince resta dans son palais tandis que Bleiddig attaquait. Les jours
suivants, les corps de guerriers francs étaient nombreux à boire la tasse
autour de l’île, assurant pléthore de charognes aux goélands.
Les Francs se
mirent alors à construire une levée digne de ce nom. Ils abattirent des
centaines d’arbres qu’ils disposèrent sur les sables, puis ils immobilisèrent
les troncs avec des rochers transportés sur la côte par des esclaves. Dans la
baie d’Ynys Trebes, les marées étaient d’une grande force, parfois même la mer
marnait de quarante pieds, et les courants emportaient la nouvelle digue si
bien qu’à marée basse le platin était jonché de rondins flottants, mais les
Francs ne se lassaient jamais d’apporter d’autres arbres et de colmater les
brèches. Ils avaient capturé des milliers d’esclaves et peu leur importait
combien trouvaient la mort sur le chantier. Plus la digue s’allongeait, plus le
ravitaillement se faisait maigre. Nos
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