Le Roi de l'hiver
Merlin, Monseigneur ?
— C’est
un ami, Seigneur Roi, répondit Bedwin, en homme digne et replet, toujours
attentif à préserver la paix entre les diverses religions.
— Le
seigneur Merlin est un druide, Monseigneur, qui déteste les chrétiens,
renchérit Gundleus, cherchant à le provoquer.
— Les
chrétiens sont désormais légion dans ce pays, répondit l’évêque, et les druides
se font rares. Je crois que nous autres, les tenants de la vraie foi, n’avons
rien à craindre.
— Tu
entends cela, Tanaburs ? lança Gundleus à l’intention de son druide.
L’évêque n’a pas peur de toi ! »
Tanaburs ne
répondit point. Dans son inspection de la salle, il en était arrivé à la
palissade-fantôme qui gardait la porte des appartements de Merlin. Elle était
toute simple : juste deux crânes placés de part et d’autre de la porte,
mais seul un druide pouvait oser franchir leur barrière invisible, et même un
druide redoutait une palissade-fantôme placée par Merlin.
« Passerez-vous
la nuit ici ? demanda Bedwin à Gundleus, essayant de changer de sujet.
— Non »,
répondit sèchement Gundleus en se levant. Je crus qu’il était sur le point de
partir, mais, par-dessus l’épaule de Norwenna, il regarda la petite porte noire
gardée par les crânes et devant laquelle Tanaburs frémissait tel un chien de meute
flairant un sanglier qu’il ne voit pas.
« Qu’y
a-t-il derrière cette porte ? demanda le roi.
— Les
appartements de mon seigneur Merlin, Seigneur Roi, dit l’évêque.
— L’antre
des secrets ? demanda Gundleus d’un air rapace.
— Des chambres
à coucher, rien de plus », répliqua sèchement Bedwin.
Tanaburs
brandit son bâton surmonté d’une lune et le tendit, frémissant, en direction de
la palissade. Le roi Gundleus observa le manège de son druide, finit son vin et
lança la corne par terre.
« Tout
compte fait, peut-être dormirai-je ici, mais commençons par inspecter les
appartements. »
Il fit signe à
Tanaburs d’avancer, mais le druide était nerveux. Merlin était le plus grand
druide de Bretagne. On le redoutait au-delà même de la mer d’Irlande et nul ne
s’immisçait dans sa vie à la légère ; mais cela faisait maintenant un long
mois que personne n’avait vu le grand homme et d’aucuns chuchotaient que la
mort du prince Mordred était le signe que les pouvoirs de Merlin étaient sur le
déclin. Et Tanaburs, comme son maître, était certainement fasciné par ce qui se
trouvait derrière cette porte, car les secrets qui pouvaient s’y cacher
rendraient Tanaburs aussi puissant et savant que le grand Merlin lui-même.
« Ouvre
la porte ! » ordonna Gundleus au druide.
D’une main
tremblante, il avança le bout de son bâton vers l’un des crânes, hésita, puis
effleura la calotte jaunissante. Il ne se passa rien. Tanaburs cracha sur le
crâne puis le renversa avant de retirer son bâton d’un geste brusque, comme un
homme qui a sorti un serpent de son sommeil. Une fois de plus, il ne se passa
rien et il approcha sa main libre du loquet.
Puis la
terreur le cloua sur place.
Un hurlement
avait retenti dans l’obscurité enfumée de la grande salle. Un cri perçant
d’épouvanté, tel celui d’une fillette qu’on torture, et ce bruit terrible fit
reculer le druide. Norwenna lança un grand cri de peur et se signa. Mordred se
mit à vagir sans que Ralla ne trouvât rien pour le calmer. Gundleus s’assura de
l’origine du bruit puis partit d’un grand éclat de rire tandis que le hurlement
faiblissait.
« Un
guerrier, annonça-t-il à la salle inquiète, ne s’effraie pas d’un cri de
fillette. »
Sur ce, il se
dirigea vers la porte, faisant mine de ne pas voir Mgr Bedwin qui agitait les
mains en tâchant de le retenir sans vraiment le toucher.
De la porte
gardée par le fantôme s’éleva un grand fracas. Un bruit violent de craquement,
et si soudain que tout le monde bondit, sur le qui-vive. Au départ, je crus que
la porte était tombée devant le roi, puis je vis une lance qui la traversait de
part en part. Le fer argenté était planté fièrement dans la vieille porte de
chêne noircie par le feu, et je tâchai d’imaginer quelle force surhumaine il
avait fallu pour enfoncer cet acier affilé dans une barrière aussi épaisse.
L’apparition
soudaine de la lance fit même hésiter Gundleus, mais son orgueil était menacé
et il n’était pas dit qu’il reculerait devant ses guerriers. Il
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