Le Roi de l'hiver
jusqu’à Durnovarie, où ils arrivèrent deux jours
pleins avant que Merlin, Galahad et moi ne mettions pied à terre, si bien que
nous n’étions pas là pour voir leur entrée. Mais nous en eûmes de nombreux
échos, car toute la ville bruissait de récits admiratifs sur les hauts faits
des fugitifs.
Le groupe
royal de Benoïc avait voyagé à bord de trois navires rapides, qui tous avaient
été ravitaillés avant la chute d’Ynys Trebes et dont les cales regorgeaient de
l’or et de l’argent que les Francs avaient espéré trouver dans le palais de
Ban. Lorsque l’escorte de la reine Elaine arriva à Durnovarie, le trésor avait
été caché, et tous les fugitifs étaient à pied, d’aucuns sans soulier, tous en
guenilles et couverts de poussière, les cheveux en bataille et couverts d’une
croûte de sel marin, avec du sang coagulé sur leurs habits et sur leurs armes
ébréchées qu’ils serraient dans leurs mains inertes. Elaine, reine de Benoïc,
et Lancelot, maintenant roi d’un Royaume Perdu, remontèrent en clopinant la rue
principale pour se présenter comme des indigents au palais de Guenièvre.
Derrière eux, se pressait une cohorte bigarrée de gardes, de poètes et de
courtisans, qui, prétendit Elaine d’un air piteux, étaient les seuls rescapés
du massacre. « Si seulement Arthur avait tenu parole, gémissait-elle, si
seulement il avait fait ne serait-ce que la moitié de tout ce qu’il avait
promis.
— Mère !
Mère ! » Lancelot se cramponnait à elle.
« Je ne
souhaite plus que mourir, mon cher, déclara Elaine, comme toi qui as failli
perdre la vie dans la bataille. »
Guenièvre fut
naturellement à la hauteur des circonstances. Elle fit venir des habits,
préparer des bains, cuisiner des repas, servir du vin, bander les blessures.
Elle prêta une oreille attentive aux récits, distribua des trésors et fit
appeler Arthur.
Les histoires
étaient merveilleuses. Elles se propagèrent à travers la ville entière et,
lorsque nous arrivâmes à Durnovarie, toute la Dumnonie les racontait ;
déjà, elles volaient par-delà les frontières pour être reprises dans les
innombrables salles de banquet de Bretagne et d’Irlande. C’était une épopée
héroïque : comment Lancelot et Bors avaient tenu la Porte de Merman,
comment ils avaient couvert les sables d’un tapis de Francs morts et gavé les
goélands de tripaille franque. Les Francs, assurait-on, avaient imploré
miséricorde avec force cris perçants, redoutant que Tanlladwyr ne lançât à
nouveau des éclairs entre les mains de Lancelot, mais c’est alors que d’autres
défenseurs, hors de la vue de Lancelot, avaient capitulé. L’ennemi était dans
la ville, et si la lutte avait été sinistre, elle tourna à l’épouvante. Les
ennemis tombaient les uns après les autres tandis que l’on bataillait, rue
après rue. Tous les héros de l’Antiquité eux-mêmes n’auraient pu endiguer cette
ruée d’ennemis aux casques de fer qui essaimaient de la mer environnante comme
autant de démons jaillis des cauchemars de Manawydan. Les héros débordés
reculèrent, laissant les rues gorgées de cadavres ennemis ; l’ennemi se
faisait toujours plus nombreux, et nos héros se replièrent, ils se replièrent
vers le palais où Ban, le bon roi Ban, se penchait sur sa terrasse, scrutant
l’horizon dans l’attente des vaisseaux d’Arthur. « Ils viendront, avait
insisté Ban, car Arthur a promis. »
Le roi,
poursuivait la légende, ne voulait point quitter sa terrasse, car si Arthur
venait et qu’il ne fût pas là, que diraient les hommes ? Il voulut à tout
prix rester pour accueillir Arthur, mais il commença par embrasser sa femme,
étreignit son héritier, puis leur souhaita bon vent pour la Bretagne avant de
retourner attendre des secours qui ne sont jamais venus.
Une histoire
grandiose ! Le lendemain, alors qu’il semblait qu’aucun autre navire
n’arriverait de la lointaine Armorique, elle connut de subtils changements.
C’étaient maintenant les hommes de Dumnonie, les forces conduites par Culhwch
et Derfel, qui avaient laissé l’ennemi investir Ynys Trebes. « Ils se sont
battus, assura Lancelot à Guenièvre, mais ils ne pouvaient résister. »
Arthur, qui
faisait campagne contre les Saxons de Cerdic, rentra au grand galop à
Durnovarie pour accueillir ses hôtes. Il arriva quelques heures seulement avant
que notre triste troupe, sans attirer l’attention, ne remontât péniblement
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