Le Roi de l'hiver
demanda Sagramor.
Arthur secoua
la tête. « Je me proposerai à la place de Balin et de Lanval. »
Il y pensait
sérieusement. J’en étais certain. Le remords le tenaillait et il cherchait une
issue qui l’arracherait au désordre inextricable de sa conscience et de ses
devoirs, fût-ce au prix de sa propre vie. « Merlin rirait de moi
maintenant !
— Oui »,
fis-je. La conscience de Merlin, si tant est qu’il en possédât une, l’éclairait
simplement sur la manière dont pensaient les hommes plus modestes et n’était
pour lui qu’un aiguillon, l’incitant à adopter la conduite opposée. La
conscience de Merlin ? Une plaisanterie pour amuser les Dieux ! Celle
d’Arthur lui pesait.
Il fixait
maintenant le sol moussu, à l’ombre du chêne. Le jour s’enfonçait dans le
crépuscule, Arthur sombrait dans la morosité. Était-il réellement tenté de tout
abandonner ? De galoper jusqu’au repaire d’Aelle pour troquer sa vie
contre celle des âmes de Ratae ? Je crois bien que oui, mais la logique
insidieuse de son ambition reprit le dessus pour triompher de son désespoir,
comme la marée recouvrant les sables désolés d’Ynys Trebes. « Voici cent
ans, reprit-il lentement, la paix régnait sur cette terre. La justice aussi. Un
homme pouvait défricher la terre en ayant la satisfaction de savoir que ses
petits-fils vivraient pour la cultiver. Mais ces petits-fils sont morts, tués
par les Saxons ou par les leurs. Si nous ne faisons rien, le chaos se répandra
jusqu’à ce qu’il n’y reste plus que les fringants Saxons et leurs magiciens
fous. Si Gorfyddyd gagne, il dépouillera la Dumnonie de sa richesse, mais si je
gagne j’embrasserai le Powys en frère. Ce que nous faisons me fait horreur,
mais si nous le faisons, nous pouvons remettre les choses en ordre. » Il
nous regarda tous les deux : « Nous sommes tous de Mithra, vous êtes
donc témoins du serment que je lui fais. » Il s’interrompit. Il apprenait
à détester les serments et leurs obligations, mais après son entrevue avec
Aelle il était dans un tel état qu’il était tout prêt à se charger d’un nouveau
serment. « Trouve-moi une pierre, Derfel », ordonna-t-il.
J’arrachai une
pierre et la débarrassai de sa gangue de terre puis, à la demande d’Arthur, y
gravai le nom d’Aelle à la pointe de mon couteau. Arthur se servit du sien pour
creuser un trou profond au pied du chêne, puis se releva. « Voici mon
serment : si je survis à cette bataille avec Gorfyddyd, je vengerai les
âmes innocentes que j’ai condamnées à Ratae. Je tuerai Aelle. Je le détruirai,
lui et ses hommes. Je les livrerai en pitance aux corbeaux et donnerai leurs
richesses aux enfants de Ratae. Vous êtes tous les deux mes témoins, et si je
manque à mon serment, vous êtes délivrés de tous les liens qui vous attachent à
moi. » Il laissa tomber la pierre dans le trou que nous recouvrîmes de
terre. « Puissent les Dieux me pardonner les morts que je viens de
causer », murmura Arthur.
Sur ce, nous
partîmes en causer d’autres.
Nous
rejoignîmes le Gwent via Corinium. Ailleann y vivait encore et, si Arthur vit ses
fils, il ne reçut point leur mère en sorte que Guenièvre ne fût point blessée
par le bruit d’une telle rencontre, mais il me dépêcha chargé d’un présent pour
Ailleann. Elle me reçut avec bonté, mais haussa les épaules en voyant le cadeau
d’Arthur, une petite broche d’argent émaillé représentant un animal qui
ressemblait beaucoup à un lièvre, mais avec des pattes et des oreilles plus
courtes. Elle venait des trésors du sanctuaire de Sansum, bien qu’Arthur se
soit fait un devoir de remplacer la broche par des pièces sorties de sa bourse.
« Il aurait aimé t’envoyer quelque chose de mieux, lui dis-je, livrant le
message d’Arthur, mais hélas nos plus beaux bijoux vont aux Saxons par les
temps qui courent.
— Il fut
un temps, répondit-elle avec aigreur, où ses cadeaux venaient de l’amour, non
de la culpabilité. » Ailleann était encore une femme marquante, mais ses
cheveux grisonnaient maintenant et ses yeux se voilaient d’un nuage de
résignation. Vêtue d’une longue robe de laine bleue, elle portait sa chevelure enroulée
au-dessus des oreilles. Elle scruta l’étrange animal émaillé. « Qu’en
penses-tu ? Ce n’est pas un lièvre. Un chat ?
— Sagramor
dit que ça s’appelle un lapin. Il en a vu en Cappadoce, je ne sais trop
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