Le Roi de l'hiver
l’ennemi ne
s’était pas encore aventuré hors de ses bastions des collines du Powys.
Vêtu de sa
belle armure romaine, Tewdric avait presque l’air d’un vieillard. Il avait
maintenant les cheveux gris et les épaules voûtées : il n’était pas ainsi
la dernière fois que je l’avais vu. Il accueillit les nouvelles concernant
Aelle par un grognement, puis il fit un effort pour être plus flatteur.
« Bonnes nouvelles, fit-il courtoisement avant de se frotter les yeux,
mais Dieu sait que Gorfyddyd n’a jamais eu besoin de l’aide des Saxons pour
nous battre. Il a des hommes en réserve. »
Le fort romain
était en ébullition. Les armureries fabriquaient des têtes de lance et, à des
lieues à la ronde, tous les frênes avaient été étêtés pour tailler des hampes.
Toutes les heures arrivaient de nouvelles charrettes de grains et les fours des
boulangers ne chômaient pas plus que les fourneaux des forgerons, si bien qu’un
panache de fumée s’élevait en permanence au-dessus des murs palissadés.
Pourtant, malgré la moisson nouvelle, l’armée avait faim. La plupart des
lanciers campaient hors les murs, à une ou deux lieues, et la distribution de
pain dur et de haricots secs donnait lieu à des disputes incessantes. D’autres
contingents se plaignaient que l’eau fût gâtée par les latrines des hommes qui
campaient en amont. La maladie, la faim et la désertion sévissaient :
preuve que ni Tewdric ni Arthur n’avaient jamais eu à affronter les problèmes
que pose le commandement d’une armée aussi grande. « Mais si nous avons
des difficultés, dit Arthur avec optimisme, imaginez un peu celles de Gorfyddyd.
— Je
préférerais ses problèmes aux miens », répondit Tewdric d’un ton lugubre.
Toujours
placés sous les ordres de Galahad, mes lanciers campaient à deux lieues au nord
de Magnis, où Agricola, le commandant de Tewdric, surveillait de près la
frontière entre le Gwent et le Powys. De revoir mes casques à queue de loup me
procura une bouffée de bonheur. Après le défaitisme des campagnes, il était
bon, soudain, de penser qu’ici au moins il y avait des hommes qui ne seraient
jamais battus. Nimue vint avec moi et mes hommes s’attroupèrent autour d’elle
pour qu’elle touche la tête de leurs lances et la lame de leurs épées. Même les
chrétiens se pressaient pour bénéficier de sa force. Elle faisait le travail de
Merlin et, comme on savait qu’elle sortait de l’Ile des Morts, on la croyait
presque aussi puissante que son maître.
Agricola me
reçut dans une tente, la première que j’eusse jamais vue. Une merveille, avec
un grand poteau central et, aux angles, quatre bâtons supportant un dais de lin
qui filtrait la lumière du soleil, donnant une couleur étrangement jaune aux
cheveux gris et courts d’Agricola. Revêtu de son armure romaine, il était assis
à une table couverte de bouts de parchemin. Homme austère, il se contenta d’un
salut de pure forme, mais il ajouta un compliment sur mes hommes. « Ils
sont confiants. Mais l’ennemi aussi. Et il est bien plus nombreux que
nous. » Il s’exprimait sur un ton lugubre.
« Combien ? »
demandai-je.
Agricola parut
s’offusquer de ma brusquerie, car je n’étais plus le garçon que j’avais été
lorsque j’avais vu pour la première fois le seigneur de la guerre du Gwent.
J’étais un seigneur moi aussi, un meneur d’hommes, et j’avais le droit de
savoir à qui mes hommes allaient avoir à faire. Ou peut-être n’est-ce pas ma
manière d’aller droit au fait qui irrita Agricola, mais plutôt qu’il n’avait
pas envie qu’on lui rappelât la prépondérance de l’ennemi. Il finit cependant
par me donner des chiffres : « D’après nos espions, le Powys a
rassemblé six cents lanciers. Gundleus en a fait venir deux cent cinquante de
Silurie, peut-être plus. Ganval d’Elmet a envoyé deux cents hommes, et les
Dieux seuls savent combien d’hommes sans maître ont rejoint l’étendard de
Gorfyddyd pour se partager les dépouilles. » Les hommes sans maître
étaient des pendards, des exilés, des meurtriers et autres sauvages attirés par
les promesses de pillage. Je doutais qu’ils fussent légion à nos côtés, non pas
seulement parce qu’on s’attendait à notre défaite, mais parce que Tewdric et
Arthur étaient mal disposés envers ces créatures sans seigneur. Assez
curieusement, cependant, nombre des cavaliers d’Arthur, et des meilleurs,
venaient de
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