Le Roi de l'hiver
là. Des guerriers comme Sagramor avaient combattu dans les armées
romaines taillées en pièces par les envahisseurs païens de l’Italie et le génie
juvénile d’Arthur était d’avoir réussi à harnacher en une bande de guerre ces
mercenaires sans seigneur.
« Il y a
plus, continua Agricola d’un air sombre. Le royaume de Cornovie a donné des
hommes et pas plus tard qu’hier nous avons appris qu’Ongus Mac Airem de Démétie
est venu avec une bande de ses Blackshields ; peut-être une centaine
d’hommes ? D’une autre source, on apprend que les hommes de Gwynedd ont
rejoint Gorfyddyd.
— Les
réquisitions ? » demandai-je.
Agricola
haussa les épaules. « Cinq, six cents ? Peut-être même un millier.
Mais ils ne viendront pas avant que la moisson ne soit terminée. »
Je commençais
à regretter d’avoir posé la question. « Et de notre côté, Seigneur ?
— Maintenant
qu’Arthur est arrivé... » Il s’arrêta. « Sept cents lances. »
Je ne dis mot.
Comment s’étonner, pensais-je, que les gens du Gwent et de Dumnonie aient
enfoui leurs trésors et chuchotent qu’Arthur devrait quitter la Bretagne. Nous
étions face à une horde.
« Je te
saurais gré, fît Agricola d’un ton acide, comme si l’idée de reconnaissance
était absolument étrangère à sa manière de penser, de ne pas ébruiter ces
renseignements. Nous avons déjà eu assez de désertions. Si ça continuait,
autant creuser nos tombes.
— Pas de
déserteurs chez mes hommes ?
— Non,
admit-il, pas encore. » Il se leva, prit sa petite épée romaine suspendue
à un piquet de la tente puis s’arrêta sur le pas de la porte, où il jeta un
regard sinistre en direction des collines ennemies.
« Les
hommes disent que tu es un ami de Merlin.
— Oui,
Seigneur ?
— Viendra-t-il ?
— Je ne
sais pas, Seigneur. »
Agricola
grommela. « Je prie qu’il vienne. Il faut que quelqu’un apporte un peu de
bon sens dans cette armée. Tous les commandants sont convoqués à Magnis cette
nuit. Conseil de guerre. » Il le dit avec amertume, comme s’il savait que
ces conseils engendraient plus de querelles que de camaraderie. « Soyez
là-bas au coucher du soleil. »
Galahad vint
avec moi. Nimue resta avec mes hommes, car sa présence leur donnait confiance.
Pour ma part, je fus fort aise qu’elle ne soit pas venue, car le conseil
s’ouvrit par une prière de l’évêque Conrad de Gwent. Apparemment, il croyait la
défaite inéluctable, car il implora son Dieu de nous donner la force
d’affronter un ennemi surpuissant. Les bras tendus à la manière des chrétiens
en prière, Galahad marmonna en même temps que l’évêque pendant que nous autres,
païens, grommelions qu’il ne fallait pas demander des forces, mais la victoire.
J’aurais aimé qu’il y eût des druides parmi nous, mais Tewdric, étant chrétien,
n’en employait aucun, et Balise, le vieillard qui avait assisté à l’acclamation
de Mordred, était mort au cours du premier hiver que j’avais passé en Benoïc.
Agricola avait raison d’espérer que Merlin viendrait, car une armée sans druide
concédait un avantage à ses ennemis.
Le conseil
réunissait entre quarante et cinquante hommes, tous chefs ou meneurs. Nous nous
réunîmes dans la salle de pierre lisse des bains de Magnis, qui me rappela
l’église d’Ynys Wydryn. Le roi Tewdric, Arthur, Agricola et le fils de Tewdric,
l’Edling Meurig, siégeaient à une table, sous un dais de pierre. Meurig était
devenu une créature pâlichonne et maigrelette qui semblait malheureuse dans son
armure romaine mal ajustée. Il cillait constamment, comme exposé à la lumière
du soleil au sortir d’une salle très obscure, et ne cessait de tripoter la
grosse croix d’or qui pendait à son cou. Seul de tous les commandants, Arthur
n’était pas en tenue de guerre et il paraissait détendu dans ses habits de
campagnard.
Les guerriers
lancèrent des hourras et frappèrent le sol de leurs lances quand le roi Tewdric
annonça qu’aux dernières nouvelles les Saxons s’étaient retirés de la frontière
orientale, mais ce fut les derniers vivats avant un bon moment cette nuit-là,
car Agricola se leva et donna son évaluation sommaire des rapports de force. Il
n’énuméra pas tous les contingents plus modestes de l’ennemi, mais même sans
ces additions il était clair que l’armée de Gorfyddyd était deux fois plus
nombreuse que la nôtre. « Eh bien, il nous
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