Le Roi de l'hiver
porte.
« Reste,
je t’en prie. Reste. Et ferme la porte. »
II me fallut
arracher le fer de la porte avant de pouvoir la fermer. Je gardai pour moi
l’envie de lui demander comment elle s’y était prise pour enfoncer ce fer de
lance, car elle n’était pas d’humeur à répondre à des questions. Je restai coi
le temps de dégager l’arme tandis que Nimue se débarbouillait puis
s’enveloppait d’un manteau noir. « Viens ici », me dit-elle quand
elle eut fini. Je traversai docilement un lit de fourrures et de couvertures de
laine empilés sur une plate-forme de bois basse où elle passait manifestement
la nuit. Je me glissai sous la tente de toile noire et moisie qui couvrait le
lit, m’assis et la pris dans mes bras. Je sentais ses côtes à travers la
douceur laineuse du manteau. Elle pleurait. Je ne savais pas pourquoi. La
serrant maladroitement contre moi, je parcourus des yeux l’antre de Merlin.
C’était un
endroit extraordinaire. Il y avait quantité de coffres de bois et de paniers
d’osier entassés de manière à créer des renfoncements et des couloirs envahis
par une tribu de poulets décharnés. À certains endroits, les piles s’étaient
effondrées, comme si quelqu’un avait cherché un objet dans un coffre placé tout
en bas et, sans se donner la peine de défaire l’échafaudage, avait préféré tout
renverser. Tout était recouvert de poussière. Je soupçonnais que les joncs
n’avaient pas été changés depuis des lustres, même s’ils étaient le plus
souvent recouverts de tapis et de couvertures qu’on avait laissés pourrir. La
puanteur était suffocante : une odeur de poussière, de pipi de chat,
d’humidité, de décomposition et de chancissure à laquelle se mêlaient les arômes
plus subtils des herbes suspendues aux poutres. Sur une table dressée d’un côté
de la porte s’amoncelaient des rouleaux de parchemins en lambeaux. Des crânes
d’animaux occupaient une étagère poussiéreuse au-dessus de la table et, tandis
que mes yeux s’habituaient à ces ténèbres sépulcrales, j’aperçus parmi eux au
moins deux crânes humains. Des boucliers défraîchis étaient adossés à un grand
récipient d’argile dans lequel était disposé un faisceau de lances tendues de
toiles d’araignées. À un mur était accrochée une épée. Un brasier fumait au
milieu d’un amoncellement de cendres grises, juste à côté du grand miroir de
cuivre où, par extraordinaire, était suspendue une croix avec la figure
contorsionnée de leur Dieu mort cloué par les mains. Pour se protéger de ses
maléfices intrinsèques, on l’avait drapée de gui. Un grand enchevêtrement
d’andouillers pendaient aux chevrons à côté de bouquets de gui séché et d’une
nichée de chauves-souris pendillantes dont les déjections formaient de petits
tas sur le sol. Il n’y avait de plus sinistre augure que la présence de
chauves-souris dans une maison, mais j’imaginais que des hommes aussi puissants
que Merlin et Nimue n’avaient point à s’inquiéter d’aussi prosaïques menaces.
Une seconde table était encombrée de tout un fatras : bols, mortiers,
pilons, balance métallique, flasques et récipients scellés à la cire, dont je
découvris plus tard qu’ils contenaient de la rosée recueillie dans les tombes
d’hommes assassinés, de la poudre de crânes broyés et des infusions de belladone,
de mandragore et d’aubépine, tandis que dans une étrange urne de pierre, à côté
de la table, s’entassait un fouillis d’émerillons, de baguettes magiques, de
tamis de lutins, de testicules de serpents et de pierres de sorcières, le tout
mélangé à des plumes, des coquillages et des pommes de pin. Jamais je n’avais
vu une pièce aussi encombrée, aussi crasseuse ni aussi fascinante et je me
demandai si la chambre à côté, la Tour de Merlin, était aussi horriblement
merveilleuse.
Nimue avait
cessé de pleurer et demeurait allongée, impassible, dans mes bras. Elle dut
sentir combien la pièce m’émerveillait et me révulsait tout à la fois.
« Il ne jette rien, observa-t-elle d’un ton las. Rien. » Je ne dis
mot, mais me contentai de la calmer et de la caresser. Elle resta un temps
allongée, épuisée, puis, tandis que ma main explorait son manteau, à la hauteur
de ses petits seins, elle se contorsionna d’un air contrarié. « Si c’est
cela que tu veux, va voir Sebile ! » Elle descendit du lit en serrant
son manteau et se dirigea vers la
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