Le Roi de l'hiver
fit le signe
contre le mal, cracha sur le fer, puis marcha vers la porte, leva le loquet et
l’ouvrit.
Et recula
aussitôt. L’horreur se lisait sur son visage. Je l’épiais, et je vis dans ses
yeux la peur à l’état brut. Il fit un second pas en arrière sans quitter des
yeux la porte ouverte, puis j’entendis le cri perçant de Nimue qui avançait dans
la salle. Tanaburs agitait frénétiquement son bâton, Bedwin priait, le bébé
vagissait tandis que Norwenna s’était retournée sur son siège d’un air
angoissé.
Nimue franchit
la porte et, apercevant mon amie, moi-même je frissonnai. Elle était nue, et son
mince corps d’albâtre était maculé du sang qui ruisselait le long de ses
cheveux jusqu’à ses petits seins puis continuait sa course jusqu’à ses cuisses.
Sa tête était couronnée d’un masque de mort, la peau du visage tannée d’un
homme sacrifié qui était perchée au-dessus de son visage tel un casque grognant
et maintenue en place par la peau des bras du mort nouée à hauteur de son cou
décharné. Le masque paraissait doué d’une vie redoutable et se contractait
tandis qu’elle avançait vers le roi de Silurie. La dépouille sèche et jaunâtre
du mort pendait dans le dos de Nimue qui se déplaçait en faisant de petits pas
irréguliers. Son visage sanguinolent ne laissait paraître que le blanc de ses
yeux et, secouée de crispations, elle se répandait en imprécations dans une
langue plus ordurière que celle des soldats. Dans ses mains, elle tenait deux
vipères au corps sombre et luisant qui tendaient leurs têtes tremblotantes vers
le roi.
Gundleus
battit en retraite en faisant le signe contre le mal, puis il se souvint qu’il
était un homme, un roi et un guerrier, et il porta la main à la garde de son
épée. C’est alors que Nimue donna un violent coup de tête et le masque de mort
tomba de ses cheveux rassemblés en chignon sur son cuir chevelu, et nous vîmes
tous que ce n’étaient pas ses cheveux, mais une chauve-souris qui tendit
soudain ses ailes noires et froissées et, ouvrant sa gueule rouge, montra les
dents à Gundleus.
La
chauve-souris fit hurler Norwenna, qui se précipita vers son bébé, tandis que
nous regardions horrifiés la créature piégée dans la chevelure de Nimue. Elle
s’agitait et battait des ailes, essayant de s’envoler, grondait et se
débattait. Les serpents se tortillaient et, subitement, la salle se vida.
Norwenna fut la première à s’enfuir, suivie par Tanaburs et tous les autres,
même le roi, courant vers la porte est pour retrouver la lumière du matin.
Tandis qu’ils
fuyaient, Nimue demeura impassible, puis roula des yeux et cligna des
paupières. Elle se dirigea vers le feu et, négligemment, lança les serpents dans
les flammes, où ils sifflèrent et se contorsionnèrent avant de grésiller en
mourant. Elle libéra la chauve-souris, qui s’envola dans les combles, puis
dénoua le masque de mort pour en faire un baluchon avant de ramasser la
délicate flasque romaine qui gisait parmi les cadeaux que Gundleus avait
apportés. Elle fixa la flasque l’espace de quelques secondes, puis son corps
filiforme se crispa tandis qu’elle lançait le trésor contre un poteau de chêne
où elle se brisa en éclats vert pâle. Puis le silence se fit.
« Derfel ?
appela-t-elle d’un ton brusque. Je sais que tu es là.
— Nimue ? »
répondis-je en sortant de derrière mon paravent d’osier.
J’étais
terrifié. La graisse de serpent sifflait dans le feu et la chauve-souris
froufroutait dans les combles. Nimue m’adressa un sourire.
« J’ai
besoin d’eau, Derfel.
— De
l’eau ? demandai-je stupidement.
— Pour me
débarbouiller de ce sang de poulet.
— Du
poulet ?
— De
l’eau, reprit-elle. Il y a un broc à côté de la porte. Va m’en chercher.
— Là ?
demandai-je étonné, parce que son geste semblait me prier d’apporter l’eau dans
les appartements de Merlin.
— Pourquoi
pas ? »
Elle franchit
la porte dans laquelle était encore fiché le fer de lance tandis que
j’empoignai le broc massif et la suivis dans la pièce. Je la retrouvai debout
devant une feuille de cuivre battu qui reflétait son corps nu. Elle n’éprouvait
aucune gêne, peut-être parce que, enfants, nous gambadions tous nus, tandis que
ma conscience me rappelait fâcheusement que nous n’étions plus des enfants.
« Ici ? »
Nimue hocha la
tête. Je posai le broc et m’apprêtai à regagner la
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