Le Roi de l'hiver
émotif et, à cet instant, il peinait à se maîtriser. « Je vais
demain à Lugg Vale », annonça-t-il enfin et, l’espace d’une seconde, je
crus, effaré, qu’il comptait se livrer à l’épouvantable vindicte de Gorfyddyd,
mais il nous gratifia ensuite de son généreux sourire. « Et j’aimerais que
vous veniez avec moi, mais je n’ai pas le droit de l’exiger. »
Le silence
régnait dans la pièce. J’imagine que nous nous disions tous que la bataille du
val semblait déjà aventureuse quand il était question d’y engager les armées
réunies de Gwent et de la Dumnonie, mais comment gagner avec les seuls
Dumnoniens ? « Tu as le droit d’exiger que nous venions, déclara
Culhwch, car nous avons juré de te servir.
— Je vous
libère de ces serments. Je ne vous demande qu’une chose : si vous vivez,
promettez-moi de veiller que Mordred monte sur le trône. »
Le silence se
fit à nouveau. Rien, je crois, ne pouvait nous faire flancher, mais nous ne
savions comment exprimer notre loyauté. Galahad prit enfin la parole :
« Je ne t’ai fait aucun serment, Seigneur, mais je le fais maintenant. Où
tu te bats, Seigneur, je me bats, où se trouve ton ennemi se trouve le mien et
ton ami est aussi le mien. Je le jure sur le précieux sang du Christ
vivant. » Il se pencha, prit la main d’Arthur et la baisa. « Que je
le paye de ma vie si je manque à ma parole !
— Il faut
être deux pour faire un serment, dit à son tour Culhwch. Tu pourrais me
libérer, Seigneur, mais moi-même je m’y refuse.
— Moi
aussi, Seigneur », ajoutai-je.
Sagramor
semblait las. « Je suis ton homme, celui d’aucun autre.
— Bougre
de serment, fit l’affreux
Morfans, je veux combattre. »
Arthur avait
les larmes aux yeux. Pendant un moment, il demeura incapable de parler,
s’affairant plutôt à remuer le feu jusqu’à ce qu’il eût réussi à en diminuer la
chaleur de moitié pour doubler la fumée. « Vos hommes ne sont pas liés par
serment, reprit-il d’une voix étouffée et demain, à Lugg Vale, je ne veux que
des volontaires.
— Pourquoi
demain ? demanda Culhwch. Pourquoi pas dans deux jours ? Mieux vaut
prendre le temps de se préparer, pas vrai ? »
Arthur hocha
la tête. « Nous ne serions pas mieux préparés si nous attendions une année
entière. En outre, les espions de Gorfyddyd fileront déjà dans le nord pour
annoncer à Gorfyddyd que Tewdric accepte ses conditions, si bien qu’il nous
faut attaquer avant que ces mêmes espions ne découvrent que nous, les
Dumnoniens, ne battons pas en retraite. Nous attaquons demain à l’aube. »
Il se tourna vers moi. « Tu attaqueras le premier, Seigneur Derfel, alors
cette nuit tu dois aller chercher tes hommes et leur parler ; s’ils refusent,
ainsi soit-il, mais s’ils consentent, Morfans peut te dire ce qu’ils doivent
faire. »
Morfans avait
chevauché à travers les lignes ennemies, se pavanant dans l’armure d’Arthur
mais reconnaissant aussi les positions ennemies. Dans une marmite, il prit des
poignées de grains qu’il répandit sur son manteau étendu sur le sol : une
figuration grossière de Lugg Vale. « La vallée n’est pas longue, mais ses
flancs sont escarpés. La barricade est ici, à l’extrémité sud, indiqua-t-il en
pointant le doigt sur un passage de la vallée. Ils ont abattu des arbres et
fait une palissade. Elle est assez robuste pour arrêter un cheval, mais il ne
faudra pas longtemps à quelques hommes pour écarter ces arbres. Leur point
faible est ici. » Il indiqua la colline occidentale. « Elle est raide
à l’extrémité nord de la vallée, mais à l’endroit où ils ont construit leur
barricade on a aucun mal à descendre cette pente. Grimpez à la faveur de
l’obscurité et, à l’aube, vous attaquerez en aval pour démanteler leur barrière
alors qu’ils n’auront pas fini de se réveiller. Ensuite, les chevaux peuvent
passer. » Sa bouche se fendit d’un large sourire. Visiblement, il était
ravi à l’idée de surprendre l’ennemi.
« Tes
hommes sont habitués à marcher de nuit, me dit Arthur, si bien que demain, à
l’aube, tu prends la barricade, tu la détruis et tu tiens le val le temps de
laisser nos chevaux arriver. Après les chevaux, suivront nos lanciers. Sagramor
les commandera dans le val tandis que j’attaquerai Branogenium avec cinquante
cavaliers. » Sagramor resta impassible en apprenant qu’il allait
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