Le Roi de l'hiver
hiver rude. Sagramor me raconta un jour qu’il
est des terres où l’hiver ne vient jamais, que le soleil réchauffe toute
l’année, mais peut-être est-ce encore l’une de ses fables comme son histoire de
lapins. J’espérais jadis que le ciel des chrétiens serait un endroit chaud,
mais Sansum prétend que le ciel est forcément frais, vu que l’enfer est chaud,
et je soupçonne que le saint a raison. Il n’y a pas grand-chose à attendre.
Igraine frissonna et se retourna vers moi. « Personne ne m’a jamais fait
de charmille pour Lughnasa, dit-elle d’un air désenchanté.
— Bien
sûr que si ! Chaque année, tu y as droit !
— Mais
c’est la charmille du Caer. Les esclaves la font, parce que c’est leur devoir,
et naturellement je m’y installe, mais ce n’est pas la même chose que de voir
son jeune soupirant faire une charmille de saules et de digitales. Merlin vous
en a-t-il voulu d’avoir fait l’amour, toi et Nimue ?
— Je
n’aurais jamais dû te le confesser. S’il l’a jamais su, il n’en a jamais rien
dit. Il n’y aurait attaché aucune importance. Il n’était pas jaloux. »
Contrairement à nous. Contrairement à Arthur. Que de sang la jalousie
n’a-t-elle fait couler sur notre terre ! Et à la fin de la vie, à quoi ça
rime ? On se fait vieux, et les jeunes nous regardent sans jamais savoir
que nous avons guerroyé pour l’amour.
Igraine arbora
son air malicieux. « Tu dis que Gorfyddyd a traité Guenièvre de
putain ? C’était vrai ?
— Tu ne
devrais pas employer ce mot.
— Très
bien. Guenièvre était-elle ce que disait Gorfyddyd, et que je ne suis pas
autorisée à répéter de crainte de froisser tes innocentes oreilles ?
— Non,
certainement pas.
— Mais
a-t-elle été fidèle à Arthur ?
— Attends. »
Elle me tira
la langue. « Lancelot est-il devenu un adepte de Mithra ?
— Attends,
tu verras !
— Je te
déteste !
— Et moi
je suis ton très dévot serviteur, chère Dame, mais je suis aussi fatigué et ce
temps froid empâte l’encre. J’écrirai la suite de l’histoire, je te le promets.
— Si
Sansum te laisse faire, ajouta Igraine.
— Il me
laissera faire. » Le saint est plus heureux ces temps-ci, grâce à notre
dernier novice, qui n’est plus un novice d’ailleurs, mais un prêtre consacré et
un moine et déjà, insiste Sansum, un saint. Tout comme lui. Saint Tudwal, c’est
ainsi que nous devons l’appeler désormais, et les deux saints partagent une
cellule et glorifient Dieu ensemble. La seule chose que je trouve à reprocher à
cette bienheureuse association, c’est que le très saint Tudwal, maintenant âgé
de douze ans, consent de nouveaux efforts pour apprendre à lire. Il ne parle
pas cette langue saxonne, bien sûr, mais je crains tout de même qu’il ne
parvienne à déchiffrer ces écrits. Mais cette crainte doit attendre que saint
Tudwal maîtrise ses lettres, s’il y parvient jamais, et pour l’instant, si Dieu
le veut et pour satisfaire la curiosité impatiente de ma très charmante reine,
Igraine, je vais continuer cette histoire d’Arthur, mon très cher seigneur, mon
ami, mon seigneur de la guerre.
*
Le lendemain,
je ne remarquai rien. Je me trouvais avec Galahad, hôte indésiré de mon ennemi
Gorfyddyd, cependant que Iorweth apaisait les Dieux. Mais le druide aurait
aussi bien pu souffler des aigrettes de pissenlit, vu l’attention que je prêtai
aux cérémonies. Ils tuèrent un taureau, ligotèrent trois prisonniers aux pieux,
les étranglèrent, puis consultèrent les augures en poignardant un quatrième
malheureux au creux de l’estomac. Ils entonnèrent le Chant de bataille de
Maponos en dansant autour des morts, puis les rois, les princes et les chefs
plongèrent la pointe de leurs lances dans le sang des morts avant de lécher le
sang des lames et de s’en barbouiller les joues. Galahad se signa, je rêvais à
Ceinwyn. Elle n’assista point aux cérémonies. Pas plus qu’aucune femme. Les
augures, m’expliqua Galahad, étaient favorables à la cause de Gorfyddyd, mais
ça m’était bien égal. Aux anges, je pensais au doigt de fée de Ceinwyn sur ma
main.
On nous
apporta nos chevaux, nos armes et nos boucliers, et Gorfyddyd en personne nous
raccompagna à la porte de Caer Sws. Cuneglas, son fils, vint aussi ; on
aurait pu croire à un geste de courtoisie, mais Gorfyddyd ne s’embarrassait pas
de ces subtilités. « Dites à votre coureur de
Weitere Kostenlose Bücher