Le Roi de l'hiver
essoufflé, je suivais mes hommes. J’entendais l’ennemi
dans mon dos et par deux fois, jetant un œil par-dessus mon épaule, j’aperçus
un grand gaillard tout rougeaud et grimaçant qui essayait de me rattraper. Il
était plus rapide que moi et je commençais à me dire que je devais m’arrêter et
faire volte-face pour l’affronter quand j’entendis le chant mélodieux et béni
de la corne d’Arthur. Elle retentit deux fois avant que surgît Arthur des
arbres encore enveloppés de brumes matinales.
Arthur fut en
effet le premier à s’avancer avec son panache blanc, son armure resplendissante
et son bouclier miroitant, son manteau blanc volant dans son dos comme des
ailes. Il baissa sa lance. Ses cinquante hommes sortirent de l’ombre sur leurs
chevaux caparaçonnés, leurs visages enveloppés de fer, leurs lances
scintillantes. Les bannières de l’ours et du dragon étincelaient. Et la terre
trembla sous les sabots qui faisaient gicler l’eau et la boue sur leur passage.
Mes hommes s’écartaient, formant deux groupes qui se rassemblèrent en cercles
défensifs à l’abri de lances et de boucliers. Je restai seul, me retournant
juste à temps pour voir les hommes de Valerin essayer désespérément de reformer
un mur de boucliers. Du haut de sa monture, Valerin leur cria de se replier sur
la barricade, mais il était déjà trop tard. Notre piège était tendu et les
défenseurs de Lugg Vale étaient condamnés.
Arthur passa
en trombe à côté de moi sur Llamrei, sa jument préférée. La robe de son cheval
et les franges de son manteau étaient déjà toutes crottées. Un homme lança une
lance qui passa à côté du poitrail caparaçonné de Llamrei, puis Arthur plongea
sa lance dans le premier soldat ennemi, abandonna l’arme et libéra Excalibur.
Les autres chevaux se ruèrent en avant dans un grand tourbillon d’eau et de
vacarme. Voyant les brutes enfoncer leurs rangs brisés, les hommes de Valerin
hurlèrent. Les épées sifflaient, laissant les hommes chancelants et
ensanglantés. Les chevaux fonçaient, d’aucuns piétinant sous leurs sabots ferrés
les ennemis paniques. Les lanciers en débandade étaient sans défense contre les
chevaux, et ces guerriers du Powys n’eurent aucune chance de former ne
serait-ce qu’un tout petit mur de boucliers. Ils ne pouvaient que fuir et,
voyant qu’il n’y avait point de salut, Valerin fit volte-face et galopa vers le
nord.
Quelques-uns
de ses hommes suivirent, mais à pied ils étaient condamnés. D’autres prirent
des chemins de traverse, qui vers la rivière, qui vers la colline, traqués par
nos lances. Une poignée se défirent de leurs lances et de leurs boucliers pour
lever les bras, et sauvèrent leur peau, mais quiconque faisait mine de résister
était entouré comme un sanglier pris au piège et étripé d’un coup de lance. Le
cheval d’Arthur avait disparu dans la vallée, laissant derrière lui une
horrible traînée de crânes fendus. D’autres ennemis clopinaient et tombaient.
Voyant le massacre, Nimue poussa un grand cri de triomphe.
Nous fîmes
près de cinquante prisonniers. Les morts ou les moribonds étaient au moins aussi
nombreux. Quelques-uns s’échappèrent dans la colline que nous avions descendue
dans la grisaille de l’aube, d’autres se noyèrent en essayant de traverser le
Lugg. Tous les autres pissaient le sang, titubant, vomissant, et vaincus. Les
hommes de Sagramor, cent cinquante lanciers de choix, surgirent alors que nous
finissions de rassembler les derniers survivants de Valerin. « Nous
n’avons pas assez d’hommes pour garder des prisonniers, fit Sagramor en me
saluant.
— Je
sais.
— Alors
tue-les ! m’ordonna-t-il, aussitôt approuvé par Nimue.
— Non ! »
Sagramor était mon commandant pour le restant de la journée et c’est sans joie
que je lui désobéissais, mais Arthur voulait apporter la paix aux Bretons et
trucider des prisonniers démunis n’était pas une manière d’imposer sa paix au
Powys. En outre, c’étaient mes hommes qui avaient fait les prisonniers, si bien
que leur sort était de ma responsabilité : plutôt que de les mettre à
mort, je leur ordonnai de se dévêtir, puis on les conduisit un par un à Cavan,
qui attendait avec un gros caillou pour marteau et une pierre roulée pour
enclume. Nous placions la main du lancier sur la pierre roulée et lui broyions
les deux doigts les plus petits. Un homme aux doigts brisés vivrait, il
pourrait même
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