Le Roi de l'hiver
cents
hommes. Leurs lances étincelaient d’une lumière grise. C’était la garde d’élite
que Gorfyddyd avait chargée de tenir la vallée.
Elle était
certainement trop large pour que mes hommes puissent la tenir. La route
longeait la pente ouest et laissait à notre droite une vaste prairie où
l’ennemi pouvait sans mal nous déborder. J’ordonnai donc à mes hommes de
reculer : « Lentement ! Lentement et sûrement ! Retour à la
barricade ! » Nous pouvions tenir la brèche que nous avions ouverte
dans le barrage de troncs, même s’il suffirait à l’ennemi de quelques instants
pour escalader les arbres restants et nous encercler.
« Lentement ! » lançai-je à nouveau, avant de laisser mes hommes
se replier. J’attendis, parce qu’un cavalier s’était détaché des rangs ennemis
pour s’avancer vers nous.
L’émissaire
ennemi était un grand gaillard qui montait bien. Il avait un casque de fer
couronné de plumes de cygne, une lance et une épée, mais point de bouclier. Il
portait un plastron et une peau de mouton lui servait de selle. Il avait fière
allure avec ses yeux noirs et sa barbe noire, et je ne sais quoi dans son
visage m’était familier, mais ce n’est que lorsqu’il eut amené son cheval à ma
hauteur que je le reconnus. C’était Valerin, le chef auquel Guenièvre avait été
fiancée avant de rencontrer Arthur. Il baissa les yeux sur moi, puis,
lentement, pointa sa lance sur ma gorge. « J’avais espéré que ce serait
Arthur.
— Mon
seigneur t’envoie ses salutations, Seigneur Valerin. »
Valerin cracha
en direction de mon bouclier qui portait encore l’ours d’Arthur.
« Retourne-lui mes salutations, à lui ainsi qu’à la putain qu’il a
épousée. » Il s’arrêta, relevant la pointe de sa lance pour la rapprocher
de mes yeux. « Tu es bien loin de ta maman, petit, ta mère sait que tu as
sauté du lit ?
— Ma
mère, répondis-je, prépare un chaudron pour tes os, Seigneur Valerin. Nous
avons besoin de colle et les os de mouton, dit-on, font la meilleure. »
Il parut
satisfait que je le connusse, prenant à tort ma reconnaissance pour un signe de
gloire et ne s’apercevant pas que j’étais l’un des gardes venus à Caer Sws avec
Arthur de longues années auparavant. Il écarta sa lance de ma figure et observa
mes hommes. « Vous n’êtes pas beaucoup, et nous sommes nombreux.
Voudriez-vous vous rendre tout de suite ?
— Vous
êtes en nombre, mais mes hommes sont affamés de bataille et ne feront qu’une
bouchée d’une bonne portion d’ennemis. » Un chef doit exceller à ces
insultes rituelles qui annoncent la bataille et je dois dire que j’ai toujours
aimé ça. En revanche, ces échanges n’ont jamais été le fort d’Arthur, car même
au dernier instant avant le carnage il essayait encore de se faire aimer de ses
ennemis.
Valerin tourna
à moitié son cheval. « Ton nom ? demanda-t-il avant de détaler.
— Seigneur
Derfel Cadarn », répondis-je fièrement, et je crus voir, j’espérai voir
peut-être, une lueur de reconnaissance avant qu’il n’éperonnât de nouveau son
cheval.
Si Arthur ne
venait pas, me dis-je, nous étions tous des hommes morts. Mais lorsque je
rejoignis mes lanciers à côté de la barricade, je trouvai Culhwch, qui une fois
de plus caracolait avec Arthur. Il m’attendait. Son gros cheval broutait
bruyamment juste à côté. « Nous ne sommes pas loin, Derfel, me
rassura-t-il, et lorsque cette vermine attaquera, tu dois détaler.
Compris ? Qu’ils vous donnent la chasse. Il faut les disperser, et lorsque
tu nous vois arriver, tu t’écartes du chemin. » Il me saisit la main et
m’étreignit comme un ours. « Ça vaut mieux que de parler de paix,
hein ? » Puis il regagna son cheval et se hissa sur sa selle.
« Soyez lâches quelques instants ! » lança-t-il à mes hommes.
Puis il leva la main et éperonna vers le sud.
J’expliquai à
mes hommes le sens des derniers mots de Culhwch, puis je pris ma place au
centre du mur de boucliers en travers de la brèche que nous avions ouverte dans
la barricade. Nimue se tenait derrière moi, tenant toujours son épée
ensanglantée. « Nous feindrons la panique, annonçai-je au mur de
boucliers, lorsqu’ils lanceront leur première attaque. Et ne trébuchez pas en
courant, veillez à laisser le passage à nos chevaux. » J’ordonnai à quatre
de mes hommes de mettre nos deux blessés à l’abri dans un fourré, derrière
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