Le Roi de l'hiver
manier de nouveau une lance, mais pas tout de suite. Pas avant
longtemps. Puis on les envoya dans le sud, nus et sanguinolents, tout en les
prévenant que si l’on revoyait leur tronche avant la tombée de la nuit, ils
étaient des hommes morts. Sagramor me railla de cette clémence mais se garda de
casser mes ordres. Mes hommes mirent la main sur les meilleurs vêtements et les
plus belles bottes de l’ennemi, fouillèrent le rebut en quête de pièces avant
de lancer les vêtements dans les cabanes encore en feu. Quant aux armes saisies,
on les entassa sur le bord de la route.
Marchant vers
le nord, nous découvrîmes qu’Arthur avait arrêté sa poursuite à hauteur du gué,
avant de s’en retourner vers le village agglutiné autour du bâtiment romain
qui, supputait Arthur, avait jadis été un gîte d’étape pour les voyageurs en
route vers les collines du nord. Une cohue de femmes tremblaient sous bonne
garde à côté de la bâtisse, s’accrochant à leurs enfants et à leurs maigres
effets.
« Ton
ennemi, expliquai-je à Arthur, était Valerin. »
Il lui fallut
quelques secondes pour remettre le nom, puis il sourit. Il avait retiré son
casque et sauté à terre pour nous accueillir. « Pauvre Valerin, deux fois
perdant ! » Puis il me serra dans ses bras et remercia mes hommes.
« La nuit était si noire. Je doutais que vous trouviez la vallée.
— Ce
n’est pas moi qui l’ai trouvée, c’est Nimue.
— Alors,
je te dois des remerciements, dit-il à Nimue.
— Remercie-moi,
répondit-elle, en remportant ce jour la victoire.
— Avec
l’aide des Dieux, je le ferai. » Il se retourna vers Galahad, qui avait
participé à la charge. « Va dans le sud, Seigneur Prince, et transmets mes
salutations à Tewdric et demande-lui que les lances de ses hommes se rangent à
nos côtés. Puisse Dieu rendre ta langue éloquente ! » Galahad
éperonna son cheval et remonta la vallée qui puait le sang.
Arthur examina
le sommet d’une colline à une demi-lieue à peine du gué. Il y avait là un vieux
fort de terre, héritage des Anciens, mais il paraissait désert. « Nous
serions en fâcheuse posture, dit-il en souriant, si quelqu’un voyait où nous
nous cachons. » Il cherchait une cachette où abandonner la lourde armure
de son cheval avant de poursuivre plus au nord pour faire sortir les hommes de
Gorfyddyd de leurs camps de Branogenium. « Nimue va te jeter un charme de
dissimulation.
— Vraiment,
Dame ? » demanda-t-il d’un ton grave.
Elle alla
chercher un crâne. Arthur m’embrassa de nouveau, puis appela Hygwydd, son
serviteur, pour l’aider à retirer son armure d’écailles. Il la retira par la
tête, ce qui laissa ses cheveux courts en bataille. « Voudrais-tu la
porter ?
— Moi ?
— Lorsque
l’ennemi attaquera, il s’attendra à me trouver ici et, si je n’y suis pas, il
soupçonnera un traquenard. » Il sourit. « Je demanderais bien à
Sagramor, mais son visage est un peu plus singulier que le tien, Seigneur
Derfel. En revanche, il te faudra raccourcir un peu ta longue chevelure. »
Mes cheveux blonds s’échappant du casque seraient la preuve que je n’étais pas
Arthur. « Et peut-être te tailler un peu la barbe. »
Prenant
l’armure des bras d’Hygwydd, son poids me surprit.
« Je
serais honoré.
— Elle
est lourde, me prévint-il. Tu auras chaud, et tu ne vois rien sur les côtés
quand tu portes le casque, si bien qu’il te faut deux bons hommes sur tes
flancs. » Il perçut mon hésitation. « Dois-je demander à un autre de
la porter ?
— Non,
non, Seigneur. Je la porterai.
— Elle
est synonyme de danger...
— Je ne
m’attendais pas à une journée de tout repos, Seigneur !
— Je te
laisserai donc les bannières. Lorsque Gorfyddyd viendra, il doit être convaincu
que tous ses ennemis sont au même endroit. Ce sera une rude bataille, Derfel.
— Galahad
amènera de l’aide ! »
Il prit mon
plastron, troqua son étincelant bouclier contre le mien et me donna son manteau
blanc, puis saisit la bride de Llamrei. « Nous avons mangé notre pain
blanc », conclut-il une fois remonté en selle. Il fit signe à Sagramor
d’approcher puis s’adressa à nous deux. « L’ennemi sera ici à midi. Faites
votre possible pour vous préparer, puis battez-vous comme vous ne vous êtes
jamais battus. Si je vous revois, c’est que nous serons tous victorieux. Sinon,
je vous remercie et vous salue, et je vous
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