Le Roi de l'hiver
de s’affronter. Cynyr, le
barde du Gwent, chanta la grande geste de la victoire d’Uther sur les Saxons à
Caer Idern. Plus tard, je compris que Tewdric avait dû lui en donner l’ordre,
afin de rendre hommage au Grand Roi, et la récitation eut assurément l’heur de
plaire à Uther, qui garda le sourire aussi longtemps que le barde égrena les
vers et opina chaque fois qu’était loué tel ou tel valeureux. Cynyr déclama la
victoire d’une voix vibrante et, lorsqu’il en arriva aux strophes qui
racontaient comment Owain avait massacré les Saxons par milliers, il se tourna
vers le combattant meurtri et épuisé, et l’un des champions de Tewdric, qui une
heure plus tôt à peine avait essayé de faire toucher terre au grand gaillard,
se redressa et leva le bras d’Owain. La foule hurla puis s’esclaffa, lorsque
Cynyr prit une voix de femme pour imiter les Saxons demandant grâce. À petits
pas, il se mit à parcourir le champ, comme sous l’effet de la panique,
s’accroupissant comme pour se cacher. Le spectacle plut à la foule. À moi
aussi, car on voyait presque les abominables Saxons trembler de terreur, on
sentait la puanteur de leur sang couler jusqu’à la mort et l’on entendait les
ailes des corbeaux venus se rassasier de leur chair. Puis Cynyr se redressa de
toute sa hauteur et laissa choir son manteau : son corps peint en bleu
était nu, et il entonna l’hommage des Dieux qui avaient observé leur champion,
le Grand Roi Uther de Dumnonie, Pendragon de Bretagne, vaincre les rois, les
chefs et les champions de l’ennemi. Puis, toujours nu, le barde se prosterna
devant le trône d’Uther.
Uther
farfouilla sous son manteau pelucheux pour mettre la main sur un torque d’or
jaune qu’il lança vers Cynyr. Mais sa main était faible et le torque tomba au
bord du dais de bois où les deux rois avaient pris place. Le mauvais augure fit
pâlir Nimue, mais Tewdric ramassa tranquillement le torque et le porta au barde
à cheveux blancs que le roi releva de ses propres mains.
Quand les
bardes eurent chanté, et alors que le soleil se couchait derrière le sombre
ruisselet de collines qui, à l’ouest, délimitait le territoire de la Silurie,
une procession de filles apportèrent des fleurs pour les reines. Mais il n’y
avait qu’une seule reine sous le dais : Enid. L’espace de quelques
secondes, les filles portant les monceaux de fleurs pour la dame d’Uther ne
surent que faire, mais Uther s’agita et montra du doigt Morgane, qui avait pris
place sur un banc à côté du dais : les demoiselles firent une embardée et
déposèrent devant elle une montagne d’iris, de reines des prés et d’orchidées.
« On dirait une boulette persillée », me siffla Nimue à l’oreille.
La veille du
Grand Conseil, il y eut, en soirée, un service chrétien dans la grande salle du
grand bâtiment du centre-ville. Tewdric était un fervent chrétien, et les siens
se pressaient dans la salle éclairée par les torches disposées dans des pattes
de fer fixées au mur. Il avait plu toute la soirée et la salle bondée empestait
la sueur, la laine mouillée et la fumée. Les femmes s’étaient placées à gauche,
les hommes à droite mais Nimue passa tranquillement outre à cette disposition
pour grimper sur un piédestal placé derrière la sombre foule des hommes emmitouflés
dans leur manteau, mais tête nue. Il y avait d’autres piédestaux de cette
espèce, pour la plupart couronnés de statues, mais notre plinthe était vide et
assez large pour nous accueillir tous les deux, assis à regarder les rites
chrétiens, même si, au départ, je fus davantage ébahi par l’immensité de la
salle, plus haute, plus longue et plus large que toutes les salles de banquet
que j’eusse jamais vues, si vaste que des étourneaux y avaient élu domicile et
devaient se dire que la halle romaine était un monde sauvage en soi. Le ciel
des moineaux était un toit incurvé soutenu par des piliers de brique carrés
jadis recouvert d’une couche de plâtre lisse et blanc sur lequel on avait peint
des images. Seuls en subsistaient des fragments : je devinais l’esquisse
rouge d’un cerf courant, une créature marine avec des cornes et une queue
fourchue, et deux femmes tenant une coupe à deux anses.
Uther n’était
pas venu, mais ses guerriers chrétiens étaient présents et Mgr Bedwin, le
conseiller du Grand Roi, participa aux cérémonies que Nimue et moi regardions
de notre nid d’aigle comme deux
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