Le Roi de l'hiver
Sansum et les chrétiens glapissaient leurs protestations,
mais Tewdric, le roi chrétien, leur fit signe de se taire.
« Sont-ce
les paroles de Merlin ? » voulut-il savoir.
Nimue haussa les
épaules comme si la question n’était d’aucune importance.
« Ce ne
sont pas les miennes », répondit-elle avec insolence.
Uther ne
doutait pas un instant que Nimue, simple enfant sur le point de devenir femme,
parlait non pas pour elle, mais pour son maître. Il pencha sa grande carcasse
en avant, la mine renfrognée : « Demande à Merlin s’il prêtera
serment ? Demande-lui ! Va-t-il protéger mon petit-fils ? »
Nimue marqua
un long temps de silence. Je crois qu’elle pressentit la vérité de la Bretagne
avant nous tous, avant même Merlin, et certainement longtemps avant Arthur, si
Arthur sut jamais, mais je ne sais quel instinct la retenait de dire cette
vérité à ce vieux roi moribond et têtu.
« Merlin,
mon Seigneur Roi, dit-elle enfin d’une voix lasse, de l’air de dire qu’elle
s’acquittait simplement d’un devoir nécessaire mais fastidieux, Merlin promet à
cette heure, sur la vie de son âme, qu’il prêtera serment de protéger jusqu’à
la mort la vie de votre petit-fils.
— Du
moment que... »
Morgane nous
surprit tous en intervenant. Elle eut quelque mal à se relever, paraissant
courtaude et ténébreuse à côté de Nimue. La lueur du feu scintillait sur son
casque d’or. « Du moment que... », reprit-elle, mais elle se souvint
alors qu’elle devait se balancer dans la fumée du brasero comme pour suggérer
que les Dieux prenaient possession de son corps. « Du moment, dit Merlin,
qu’Arthur prête serment. Arthur et ses hommes doivent être les protecteurs de
votre petit-fils. Merlin a parlé ! » Elle prononça ces mots avec
toute la dignité d’une femme habituée à être oracle et prophétesse, mais pour
ma part je remarquai – je ne sais si je fus le seul – qu’aucun coup
de tonnerre ne retentit dans la nuit pluvieuse.
Gundleus
s’était levé pour protester contre la déclaration de Morgane. Il avait déjà
souffert de voir son pouvoir limité par un conseil des six et un trio de
protecteurs assermentés, et voici qu’on proposait que son royaume entretînt une
bande de guerriers qui pouvaient se retourner contre lui.
« Non ! » s’écria-t-il à nouveau, mais Tewdric fit comme si de
rien n’était : il quitta le dais pour aller se placer à côté de Morgane et
faire face au Grand Roi. Ainsi apparut-il clairement à la plupart d’entre nous
que Morgane, même si elle avait parlé pour Merlin, n’en avait pas moins dit ce
que Tewdric avait voulu qu’elle dise. Le roi Tewdric du Gwent était sans doute
un bon chrétien, mais il était encore meilleur politique et savait exactement
quand faire intervenir les anciens Dieux pour appuyer ses demandes.
« Arthur
ap Neb et ses guerriers, dit alors Tewdric au Grand Roi, sera une meilleure
protection pour la vie de ton petit-fils qu’aucun serment de moi, bien que Dieu
sache combien mon serment est solennel. »
Le prince Gereint,
qui était le neveu d’Uther et, après Owain, le seigneur de la guerre le plus
puissant de la Dumnonie, aurait bien pu protester contre la désignation
d’Arthur, mais le Seigneur des Pierres était un honnête homme, aux ambitions
limitées, qui doutait de sa capacité de conduire toutes les armées de la
Dumnonie : il se rangea donc aux côtés de Tewdric et lui apporta son
soutien. Owain, qui était le chef de la Garde royale d’Uther en même temps que
le champion du Grand Roi, parut moins heureux de la nomination de son rival,
mais lui aussi finit par rallier Tewdric et grogner son assentiment.
Uther hésitait
encore. Trois était un chiffre qui portait bonheur. Trois assermentés auraient
dû suffire, l’ajout d’un quatrième était de nature à déplaire aux Dieux, mais
Uther devait une faveur à Tewdric pour avoir repoussé sa proposition de faire
d’Arthur le mari de Norwenna. Le Grand Roi s’acquitta donc de sa dette.
« Arthur prêtera donc serment », accepta-t-il, et les Dieux seuls
surent ce qu’il lui en coûta de désigner l’homme qu’il tenait pour responsable
de la mort de son fils chéri, mais il le nomma sous les vivats de l’assistance.
Les Siluriens de Gundleus, seuls, restèrent silencieux, tandis que les lances
faisaient voler en éclats les carreaux et que les hourras des guerriers se
répétaient en écho dans
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