Le Roi de l'hiver
l’obscurité caverneuse et enfumée.
Ainsi, alors
que s’achevait le Grand Conseil, Arthur, fils de personne, fut-il désigné au
nombre des protecteurs assermentés de Mordred.
Norwenna et
Gundleus furent mariés quinze jours après la fin du conseil. La cérémonie eut
lieu au sanctuaire chrétien d’Abona, ville portuaire de notre côte nord, qui,
par-delà la mer de Severn, fait face à la Silurie. Le soir même, Norwenna
retourna à Ynys Wydryn, ce qu’elle ne fit sans doute pas de gaieté de cœur. Au
Tor, personne n’alla à la cérémonie, alors qu’un détachement de moines d’Ynys
Wydryn, accompagnés de leurs épouses, escortèrent la princesse. Quand elle nous
revint, elle était la reine Norwenna de Silurie, bien que cet honneur ne lui
valût ni gardes ni serviteurs supplémentaires. Gundleus fit voile en direction
de son pays, où, dit-on, il y eut des escarmouches avec les Ui Liathain, les
Irlandais Blackshield qui avaient colonisé l’ancien royaume breton de Dyfed que
les Boucliers-Noirs appelaient la Démétie.
La présence
d’une reine parmi nous ne changea pas grand-chose à notre vie. Nous autres, au
Tor, pouvions bien paraître désœuvrés en comparaison de ceux d’en-bas, mais
nous avions tout de même nos obligations. Il fallut couper le foin et retendre
en rangées pour le faire sécher, finir de tondre les moutons et jeter le
chanvre dans le rouissoir puant pour en faire du lin. Les femmes d’Ynys Wydryn
portaient toutes des quenouilles et des fuseaux sur lesquels elles enroulaient la
tonte ; seules la reine, Morgane et Nimue étaient exemptées de cette tâche
incessante. Druidan châtrait les cochons, Pellinore commandait des armées
imaginaires et Hywel, l’intendant, apprêtait ses tailles pour compter les
loyers d’été. Merlin ne rentra pas à Avalon et nous ne reçûmes aucune nouvelle
de lui. Uther resta dans son palais de Durnovarie tandis que Mordred, son
héritier, prospérait entre les mains de Morgane et de Gwendoline.
Arthur demeura
en Armorique. Il finirait bien par venir en Dumnonie, nous dit-on, mais
seulement après s’être acquitté de son devoir envers Ban, dont le royaume de
Benoïc était voisin de Brocéliande, le royaume du roi Budic, qui avait épousé
Anne, la sœur d’Arthur. Ces royaumes de Bretagne étaient pour nous un mystère,
parce qu’aucun d’entre nous, à Ynys Wydryn, n’avait jamais franchi la mer pour
explorer ces terres où tant de Bretons, chassés par les Saxons, s’étaient
réfugiés. Nous savions qu’Arthur était le seigneur de la guerre de Ban et qu’il
avait ravagé le pays à l’ouest de Benoïc pour tenir en respect l’ennemi franc,
car nos soirées d’hiver avaient été égayées par les récits des voyageurs
chantant la prouesse d’Arthur, tandis que les histoires du roi Ban excitaient
notre envie. Le roi de Benoïc était marié à une reine du nom d’Elaine, et tous
deux avaient fait un royaume merveilleux, où la justice était prompte et
équitable, et où le plus pauvre des serfs, en hiver, trouvait à s’alimenter
dans les entrepôts royaux. Tout cela semblait trop beau pour être vrai ; même
si, beaucoup plus tard, visitant le royaume de Ban, je sus que ces récits
n’étaient aucunement exagérés. Ban avait édifié sa capitale sur une île
fortifiée, Ynys Trebes, réputée pour ses poètes. Le roi se montrait généreux de
son affection et de son argent envers la ville, qu’on disait plus belle que
Rome. On racontait qu’il y avait des sources que Ban avait canalisées et
équipées de barrages, afin que chaque maître de maison disposât d’eau pure à
proximité de sa porte. On vérifiait l’exactitude des balances des marchands,
les portes du palais restaient ouvertes nuit et jour aux solliciteurs qui
cherchaient réparation, et les diverses religions étaient sommées de vivre en
paix, sous peine de voir leurs églises et leurs temples abattus et réduits en
poussière. Ynys Trebes était un havre de paix, mais à condition seulement que
les soldats de Ban tinssent l’ennemi loin de ses remparts, et c’est pourquoi le
roi Ban répugnait tant à laisser partir Arthur pour la Bretagne. Mais peut-être
Arthur lui-même n’avait-il aucune envie d’aller en Dumnonie tant qu’Uther était
encore en vie.
La Dumnonie
connut un été serein. Nous rassemblâmes le foin séché en grands sacs amoncelés
sur d’épaisses fondations de fougères qui empêchaient l’humidité de
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