Le Roi de l'hiver
remonter et
tenaient les rats à l’écart. Le seigle et l’orge mûrissaient sur les bandes de
terre qui recouvraient tout le pays, des marches d’Avalon à Caer Cadarn ;
à l’est, les pommiers se couvraient de fruits, tandis qu’anguilles et brochets
engraissaient dans nos étangs et dans nos criques. Il n’y eut point d’épidémie
ni de loups, et peu de Saxons. De temps à autre, au sud-est, on apercevait un
panache de fumée qui s’élevait à l’horizon, et l’on se disait que des pirates
saxons venus de la mer avaient dû incendier un village, mais après le troisième
incendie le prince Gereint conduisit un détachement pour venger la Dumnonie, et
les raids saxons cessèrent. Le chef saxon paya d’ailleurs son tribut en temps
voulu, même si ce devait être le dernier tribut reçu d’un Saxon avant de
longues années, et sans doute était-il pour une bonne part le fruit de ses
rapines dans nos villages frontaliers. Ce n’en fut pas moins un été paisible,
et Arthur, disaient les hommes, serait certainement mort d’ennui s’il avait
conduit ses fameux cavaliers dans la pacifique Dumnonie. Même le Powys était
calme. Le roi Gorfyddyd avait perdu l’alliance de la Silurie, mais au lieu de
se retourner contre Gundleus, il préféra ignorer le mariage et concentrer ses
lances contre les Saxons qui menaçaient le nord de son territoire. Au nord du
Powys, le royaume de Gwynedd croisait le fer avec les redoutables soldats
irlandais de Diwrnach de Lleyn, mais la Dumnonie, royaume béni entre tous,
prospérait en paix sous un ciel chaud.
Ce fut
pourtant cet été-là, torride et idyllique, que je tuai mon premier ennemi et
devins un homme.
Car la paix ne
dure jamais, et la nôtre fut troublée des plus cruellement. Uther, Grand Roi et
Pendragon de Bretagne, mourut. Nous avions su qu’il était malade, nous avions
su qu’il était à l’article de la mort, de fait nous savions qu’il avait fait
tout son possible pour préparer sa mort, mais, d’une certaine manière, nous
avions cru que cette heure ne sonnerait jamais. Il était roi depuis si
longtemps et, sous son règne, la Dumnonie avait prospéré. Il nous avait semblé
que rien ne pourrait jamais changer. Nimue assura avoir entendu un lièvre
hurler en plein midi, à l’heure fatale, tandis que Morgane, privée d’un père,
s’enferma dans sa cabane et sanglota comme une enfant.
Le corps
d’Uther fut brûlé suivant l’ancienne coutume. Bedwin aurait préféré donner au
Grand Roi des obsèques chrétiennes, mais le reste du conseil refusa d’approuver
pareil sacrilège, et son corps boursouflé fut donc déposé sur un bûcher au
sommet de Caer Maes et livré aux flammes. Ystrwth, le forgeron, fondit son
épée, et l’acier fondu fut versé dans un lac afin que Gofannon, le Dieu
forgeron de l’Au-Delà, pût le forger à nouveau pour l’âme renée d’Uther. Le
métal brûlant siffla en coulant dans l’eau et la vapeur s’éleva, formant un épais
nuage, tandis que les prophètes se penchaient sur le lac pour lire l’avenir du
royaume dans les formes torturées que prenait le métal en refroidissant. Les
nouvelles étaient bonnes, ce qui n’empêcha pas Mgr Bedwin d’envoyer chercher
Arthur en Armorique par ses messagers les plus véloces, cependant que des
hommes plus lents partirent vers le nord, en Silurie, pour informer Gundleus
que le royaume de son beau-fils avait désormais besoin de son protecteur
officiel.
Le bûcher
funéraire d’Uther brûla trois nuits durant. C’est alors seulement qu’on laissa
les flammes s’éteindre avec le renfort d’un gros orage qui soufflait depuis la
mer de l’Ouest. De grands nuages s’étaient amoncelés dans le ciel, la foudre
déchirait la terre du mort et les champs disparaissaient sous une pluie
battante. À Ynys Wydryn, blottis dans nos cabanes, nous écoutions la pluie qui
tambourinait et le hurlement du tonnerre, les yeux fixés sur les cascades d’eau
qui s’engouffraient à travers les toits de chaume. C’est sous cet orage que le messager
de Mgr Bedwin s’en alla porter à Mordred le grand étendard au dragon du
royaume. Le messager dut hurler comme un fou pour attirer l’attention d’âme qui
vive derrière la palissade, mais Hywel et moi finîmes par ouvrir les portes et,
sitôt l’orage passé et le vent retombé, on planta le drapeau devant la demeure
de Merlin -signe que Mordred était désormais roi de Dumnonie. Le bébé n’était
pas le Grand Roi,
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