Le Roi de l'hiver
des
nouvelles de la guerre, et elles étaient bonnes. Le prince Gereint avait taillé
en pièces une bande de Saxons sur la frontière est de la Dumnonie, tandis qu’au
nord Tewdric était venu à bout d’un autre groupe de pillards saxons. Conduisant
le reste de l’armée du Gwent alliée à Owain de Dumnonie, Agricola avait refoulé
les envahisseurs de Gorfyddyd dans les montagnes du Powys. Arriva alors un
messager de Gundleus, expliquant que Gorfyddyd de Powys demandait la paix, et,
en signe de la victoire de son mari, le messager lança aux pieds de Norwenna
deux épées prises aux Powysiens. Mieux encore, rapporta l’homme, Gundleus
s’était maintenant mis en route pour le sud afin de retrouver son épouse et son
précieux fils. Il était temps, assurait Gundleus, que Mordred fût proclamé roi
de Caer Cadarn. Rien n’aurait pu être plus doux aux oreilles de Norwenna qui,
toute à sa joie, offrit un bracelet d’or massif au messager avant de le
renvoyer dans le sud pour porter le message de son époux à Bedwin et au
conseil. « Dis à Bedwin, ordonna-t-elle, que nous acclamerons Mordred
avant la moisson. Que Dieu donne des ailes à ta monture ! »
Le messager
parti, Norwenna se mit à préparer la cérémonie de Caer Cadarn. Elle ordonna aux
moines de la Sainte-Épine de se préparer à voyager avec elle, mais interdit
sèchement à Morgane ou à Nimue d’y assister parce qu’à compter de ce jour,
déclara-t-elle, la Dumnonie serait un royaume chrétien et ses sorcières
païennes seraient tenues à l’écart du trône de son fils. La victoire de
Gundleus avait enhardi Norwenna, l’encourageant à exercer une autorité qu’Uther
ne lui aurait jamais concédée.
Nous nous
attendions à voir Morgane et Nimue protester d’être ainsi exclues de la
cérémonie, mais les deux femmes reçurent l’injonction avec un calme surprenant.
En fait, Morgane se contenta d’un haussement de ses épaules noires, même si à
la tombée de la nuit elle porta un chaudron de bronze dans les appartements de Merlin
et s’y enferma avec Nimue. Norwenna, qui avait invité le supérieur des moines
de la Sainte-Épine et son épouse à dîner au Tor, observa que les sorcières
tramaient quelque méfait. Dans la salle, tout le monde rit de bon cœur. Les
chrétiens étaient victorieux.
Pour ma part,
je n’étais pas sûr de leur victoire. Certes Nimue et Morgane ne s’aimaient pas,
mais elles s’étaient tout de même enfermées ensemble, et je soupçonnais que
seule une affaire d’une importance capitale pouvait produire une telle réconciliation.
Norwenna cependant n’avait pas le moindre doute. La mort d’Uther et les
victoires de son mari lui donnaient une bienheureuse liberté : bientôt,
elle quitterait le Tor pour prendre la place qui lui revenait en tant que mère
du roi dans une cour chrétienne, où son fils grandirait à l’image du Christ.
Jamais elle ne fut si heureuse que cette nuit où elle régna, souveraine,
chrétienne au cœur de l’antre païen de Merlin.
Mais c’est
alors que Morgane et Nimue resurgirent.
Le silence se
fit dans la salle alors que les deux femmes se dirigeaient vers le siège de
Norwenna où, avec l’humilité de mise, elles s’agenouillèrent. Le moine, petit
homme impétueux à la barbe en bataille qui avait été tanneur avant de se
convertir au Christ et qui empestait encore le fumier nécessaire à son ancien
métier, exigea de savoir ce qu’elles voulaient. Sa femme se défendit du mal en
faisant le signe de croix et, comme deux précautions valent mieux qu’une, elle
cracha également.
Morgane
répondit au moine de derrière son masque d’or. Elle s’exprima avec une
déférence inaccoutumée, affirmant que le messager de Gundleus avait menti.
Nimue et elle, assura-t-elle, avaient scruté le chaudron et avaient vu la
vérité se refléter dans l’eau. Il n’y avait pas de victoire dans le nord, ni de
défaite non plus, mais Morgane prévint que l’ennemi était plus proche d’Ynys
Wydryn qu’aucun d’entre nous ne le soupçonnait et qu’il nous fallait nous tenir
prêts à quitter le Tor aux premières lueurs de l’aube pour aller se mettre en
sécurité au sud de la Dumnonie. Morgane parla sur un ton posé, d’une voix
grave. Lorsqu’elle eut fini, elle s’inclina devant la reine, puis se pencha
maladroitement pour baiser l’ourlet de la robe bleue de la reine.
Norwenna tira
sa robe d’un geste brusque. Elle qui avait écouté en silence
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