Le Roi de l'hiver
l’austère
prophétie, elle se mit à pleurer, et avec les larmes soudaines jaillit une
bouffée de colère. « Tu n’es qu’une sorcière estropiée, hurla-t-elle à
Morgane, et tu voudrais faire de ton bâtard de frère un roi. Cela n’arrivera
pas, tu m’entends ! Cela n’arrivera pas. Mon bébé est roi !
— Noble
Dame, commença Nimue, aussitôt interrompue.
— Tu n’es
rien ! cria Norwenna, se retournant contre Nimue. Tu n’es qu’une
hystérique, qu’une sale gosse du démon. Tu as jeté un sort sur mon
enfant ! Je le sais ! Il est né pied bot parce que tu étais présente
à sa naissance. Oh Dieu ! Mon enfant ! »
Hurlant et
pleurant, elle frappait du poing sur la table en crachant sa haine à l’adresse
de Morgane et de Nimue.
« Et
maintenant, partez ! Toutes les deux ! Partez ! »
Le silence
retomba. Morgane et Nimue disparurent dans la nuit.
Le lendemain
matin, il semblait que Norwenna ait eu raison. Aucun feu d’alarme en vue sur
les collines du nord. Ce fut, en vérité, la plus belle journée de ce bel été. La
terre était lourde, car la moisson approchait, les collines étaient enveloppées
d’un halo de chaleur somnolente et le ciel presque sans nuage. Au pied du Tor,
bleuets et coquelicots poussaient au milieu des épineux, et des papillons
blancs suivaient les courants d’air chaud qui parcouraient nos pentes
verdoyantes. Oublieuse de la beauté du jour, Norwenna chanta les mâtines avec
ses hôtes, puis décréta qu’elle allait quitter le Tor pour attendre l’arrivée
de son mari dans la chambre des pèlerins du sanctuaire de la Sainte-Épine.
« Voilà trop longtemps que je vis parmi les méchants »,
annonça-t-elle solennellement, lorsqu’un garde cria depuis le mur est.
« Des
cavaliers ! des cavaliers ! »
Norwenna
courut à la palissade où une foule s’attroupait pour observer une vingtaine de
cavaliers en armes franchissant le pont de terre qui menait de la Voie romaine
aux vertes collines d’Ynys Wydryn. Ligessac, qui commandait la garde de
Mordred, semblait savoir qui approchait, car il donna à ses hommes l’ordre de
les laisser entrer. Les cavaliers pressèrent leurs chevaux et se dirigèrent
vers nous, précédés d’un étendard brillant où l’on reconnaissait le renard
rouge. C’était Gundleus en personne et Norwenna rit de plaisir en voyant son
mari revenir de guerre victorieux : l’aube d’un nouveau royaume chrétien
scintillait au bout de sa lance.
« Tu
vois ? Tu vois ? lança-t-elle à Morgane. Ton chaudron a menti. La
victoire est à nous ! »
Le
remue-ménage fit pleurer Mordred et Norwenna ordonna brusquement qu’on le
confiât à Ralla, puis elle demanda qu’on allât chercher son plus beau manteau
et qu’on plaçât sur sa tête un étroit bandeau d’or, et c’est donc habillée en
reine qu’elle attendit le roi devant la porte de Merlin.
Ligessac
ouvrit la porte du Tor. La garde dépenaillée de Druidan eut le plus grand mal à
s’aligner tandis que ce vieux fou de Pellinore réclamait des nouvelles à grands
cris depuis sa cage. Nimue courut chez Merlin tandis que j’allais chercher
Hywel, l’intendant de Merlin, qui, je le savais, voudrait souhaiter la
bienvenue au roi.
Les vingt
cavaliers siluriens descendirent de cheval au pied du Tor. Ils s’en revenaient
de guerre et portaient donc des lances, des boucliers et des épées. Ceignant
son épée, Hywel l’unijambiste se renfrogna en apercevant Tanaburs parmi les
Siluriens. « Je croyais que Gundleus avait abandonné la religion
ancienne ? observa l’intendant.
— Je
croyais qu’il avait abandonné Ladwys », caqueta Gudovan, le scribe, avant
de donner un coup de menton en direction des cavaliers qui avaient commencé à
escalader le sentier étroit et raide du Tor. « Vous voyez ? »
demanda Gudovan. Et, de fait, il y avait une femme parmi les hommes en cuir. La
femme était habillée en homme, mais sa longue chevelure noire flottait au vent.
Elle portait une épée, mais pas de bouclier. Gudovan gloussa. « Ce suppôt
de Satan va donner du fil à retordre à notre petite reine. »
« Qui est
à Satan ? » demandai-je, et Gudovan me donna une tape sur la tête. Je
lui faisais perdre son temps avec mes questions stupides.
Hywel avait la
mine renfrognée, la main posée sur la garde de son épée, tandis que les
guerriers siluriens escaladaient les dernières longueurs qui les séparaient de
la porte où nos gardes
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