Le Roi de l'hiver
Gwlyddyn me
ramena vers les fugitifs apeurés en levant mon bras en signe que je m’étais
bien battu.
« Vous en
avez fait du raffut, vous deux, grogna Morgane. Nous allons bientôt avoir la
moitié de la Silurie à nos basques. Allons, venez ! Filons ! »
Ma victoire
semblait laisser Nimue indifférente, mais Lunete voulut tout savoir et, en lui
racontant, j’exagérai la force de l’ennemi et la violence de la bagarre. Et
plus je sentais l’admiration de Lunete, plus j’étais enclin à exagérer. Elle
avait de nouveau passé son bras sous le mien et, jetant un coup d’œil en
direction de ses yeux noirs, je me demandais si j’avais jamais vraiment
remarqué combien elle était belle. Comme Nimue, elle avait un visage anguleux,
mais alors que sur celui de Nimue on lisait la science et la circonspection, le
sien rayonnait d’une douce chaleur excitante. De la savoir tout près de moi me
donnait de l’assurance.
On continua à
marcher tout au long de l’après-midi avant d’obliquer vers l’est en direction
des collines au sommet desquelles Caer Cadarn faisait un peu figure de
sentinelle. Une heure plus tard, nous arrivâmes à l’orée des bois qui faisaient
face à Caer Cadarn. Il était déjà tard, mais nous étions au cœur de l’été et le
soleil était encore assez haut dans le ciel et inondait de sa douce lumière les
remparts ouest de Caer Cadarn qui rayonnaient d’un éclat vert. Nous étions à un
bon mille de la forteresse, mais tout de même assez près pour voir les
palissades jaunes au sommet des remparts, et assez près pour voir que personne
ne montait la garde sur ces remparts et qu’aucune fumée ne s’élevait des
habitations.
Cependant, il
n’y avait pas non plus d’ennemi en vue, ce qui décida Morgane à traverser la
clairière et à grimper jusqu’à la forteresse par l’ouest. Gwlyddyn objecta que
nous ferions mieux de rester dans la forêt jusqu’à la tombée de la nuit, ou
d’aller vers le village voisin de Lindinis. Mais Gwlyddyn n’étant qu’un
charpentier quand Morgane était une noble dame, il céda.
Nous nous
engageâmes dans la prairie, et nos ombres s’allongeaient loin devant nous.
L’herbe avait été broutée par des cerfs ou du bétail, mais elle était douce et
tendre sous nos pas. Nimue, qui semblait encore sous l’empire d’une transe
douloureuse, retira ses souliers pour marcher pieds nus. Un aigle planait
au-dessus de nous. Un lièvre, que notre apparition soudaine avait dérangé,
surgit d’un trou d’herbe et détala lestement.
Nous suivions
un sentier bordé de bleuets, de marguerites, d’herbes de Saint-Jacques et de
cornouillers. Derrière nous, les bois paraissaient bien noirs à l’ombre de la
colline. Nous étions fatigués et loqueteux, mais notre voyage touchait à sa fin
et certains d’entre nous en semblaient même ragaillardis. Nous ramenions
Mordred à l’endroit qui l’avait vu naître, sur la colline royale de Dumnonie.
Nous n’étions qu’à mi-chemin de ce glorieux refuge royal lorsque l’ennemi
surgit derrière nous.
La soldatesque
de Gundleus. Pas seulement les guerriers qui avaient fondu sur Ynys Wydryn ce
matin, mais aussi ses lanciers. Gundleus avait dû se douter depuis le premier
instant de notre destination, et il avait rassemblé le restant de sa cavalerie
et plus d’une centaine de lanciers pour les conduire jusqu’à ce lieu sacré des
rois de Dumnonie. Et même s’il n’avait pas été forcé de traquer l’enfant-roi,
Gundleus n’aurait pu faire autrement que de venir à Caer Cadarn, car c’était la
couronne de Dumnonie qu’il voulait, rien de moins, et c’est à Caer Cadarn que
l’on posait cette couronne sur la tête du souverain. Qui tenait Caer Cadarn
tenait la Dumnonie, disait le vieux dicton, et qui tenait la Dumnonie tenait la
Bretagne.
Les cavaliers
siluriens caracolaient en tête. Il ne leur faudrait que quelques minutes pour
nous rejoindre et je savais qu’aucun de nous, pas même les coureurs les plus
véloces, ne pouvait atteindre les longues pentes de la forteresse avant que ces
cavaliers ne nous encerclent et ne nous massacrent à grands coups d’épée et de
lance. J’allai à côté de Nimue, et je vis que son maigre visage était tendu et
las ; son œil était meurtri et larmoyant.
« Nimue ?
— Tout va
bien, Derfel. »
Elle semblait
contrariée que je voulusse prendre soin d’elle. Elle était folle, tranchai-je.
De tous les vivants qui avaient
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