Le Roi de l'hiver
feuillage d’un hêtre foudroyé. « Baisse-toi, siffla-t-il.
Cache-toi ! »
Je
m’accroupis, et soudain la terreur m’envahit. Les mains inondées de sueur, la
jambe droite agitée de crispations nerveuses, la gorge sèche, j’avais envie de
vomir. Mes entrailles se liquéfiaient. Hywel m’avait bien parlé, mais je
n’avais encore jamais affronté un homme prêt à m’occire. J’entendais les hommes
approcher, mais je ne les voyais pas, et mon instinct me disait de détaler pour
rejoindre les femmes. Mais je restai. Je n’avais pas le choix. Depuis ma plus
tendre enfance, j’avais entendu des histoires de guerrier, et l’on m’avait dit
et redit qu’un homme ne se dérobe jamais au combat. Un homme se bat pour son
seigneur : il se dresse face à l’ennemi et ne s’enfuit jamais. À l’heure
qu’il était, mon seigneur suçait le sein de Ralla et j’étais face à mes
ennemis, mais j’aurais voulu être un enfant et déguerpir. Et s’il y avait plus
que deux lanciers ennemis ? Et même s’ils n’étaient que deux, probablement
étaient-ils aguerris, exercés et endurcis, habitués à ne pas faire de
quartiers.
« Du
calme, mon petit, du calme », répéta doucement Gwlyddyn. Il avait été de
toutes les batailles d’Uther. Il avait affronté le Saxon et joué de sa lance
contre les hommes du Powys. Au cœur de son pays natal, il était maintenant
accroupi au milieu des surgeons terreux, le visage fendu d’un demi-sourire,
tenant ma longue lance de ses grosses pognes brunes. « L’heure de
venger mon enfant a sonné, dit-il d’une voix menaçante, et les Dieux sont de
notre côté. »
Mal à l’aise
dans mes habits trempés, j’étais accroupi derrière des ronces, flanqué par des
fougères. Je gardais les yeux braqués sur les troncs recouverts de lichens et
de feuilles. Les coups de bec d’une pie me firent sursauter. Ma cachette valait
mieux que celle de Gwlyddyn, mais je me sentais exposé, et jamais je ne me
sentis plus à découvert qu’au moment où nos deux poursuivants apparurent à une
dizaine de pas de mon écran de feuillage.
Deux jeunes
lanciers, dans la force de l’âge, avec des plastrons de cuir, des jambières et
de longues capes de bure jetées sur leurs épaules. Ils avaient une longue barbe
tressée et leurs cheveux bruns étaient noués en arrière par des lanières de
cuir. Tous deux portaient de longues lances, et le second avait aussi une épée,
encore à la ceinture. Je retins ma respiration.
Celui qui
ouvrait la marche leva la main. Tous deux s’arrêtèrent et tendirent l’oreille
un instant avant de repartir. Le plus proche avait le visage balafré, souvenir
d’un ancien combat ; sa bouche ouverte laissait voir des chicots entre ses
dents jaunes. Il avait l’air terriblement coriace, expérimenté et effrayant, et
je fus soudain saisi d’une terrible envie de fuir, mais c’est alors que la
cicatrice de ma paume gauche, la cicatrice de Nimue, se mit à palpiter :
cette chaude pulsation me donna une bouffée de courage.
« C’était
un cerf », lâcha le second avec mépris. Les deux hommes avançaient
maintenant à pas furtifs, attentifs à l’endroit où ils plaçaient les pieds,
scrutant les feuillages à l’affût du moindre mouvement.
« C’était
un bébé », insista le premier. Il avait deux pas d’avance sur l’autre qui,
à mes yeux effrayés, semblait plus grand et plus sinistre encore que son
compagnon.
« Les
salauds ont disparu », dit le second. Je vis sa trogne inondée de sueur
et, remarquant comment il serrait nerveusement la hampe de frêne de sa lance,
je sus qu’il n’en menait pas large. Je ne cessais d’invoquer dans ma tête le
nom de Bel, implorant Dieu de m’insuffler du courage, de faire de moi un homme.
L’ennemi était à six pas de nous maintenant et avançait encore. Autour de nous,
tout n’était que verdure chaude et immobile, et je sentais d’ici l’odeur des
hommes, l’odeur de cuir et le parfum fort et persistant de leurs chevaux,
tandis que la sueur me perlait dans les yeux et qu’il s’en fallait de peu que
je ne geignisse tout haut de terreur, mais c’est alors que Gwlyddyn bondit de
son embuscade en hurlant un cri de guerre.
Je courus avec
lui et, soudain, je fus libéré de la peur, et j’éprouvai pour la première fois
cette folle joie de la bataille qui est un don de Dieu. Plus tard, beaucoup
plus tard, j’appris que la joie et la peur sont exactement la même
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