Le Roi de l'hiver
savaient que la soldatesque de Gundleus
approchait. L’erreur de Gundleus fut de mettre le feu au Tor, car le panache de
fumée fut un signal d’alarme pour tout le sud du pays, et les éclaireurs montés
d’Owain observaient les hommes de Gundleus depuis la mi-journée. Ayant aidé
Agricola à repousser l’invasion de Gorfyddyd, Owain s’était précipité dans le
sud pour accueillir Arthur, non point par amitié, mais plutôt pour faire acte
de présence alors qu’un seigneur de la guerre rival surgissait dans le royaume.
Et ce fut une chance pour nous qu’Owain fût de retour. Malgré tout, la bataille
n’aurait jamais pu se dérouler telle que je l’ai décrite. Si Owain n’avait su
qu’Arthur était dans les parages, il aurait confié le petit Mordred au plus
rapide de ses cavaliers et expédié l’enfant au galop pour le mettre en lieu
sûr, quand bien même nous serions tous tombés sous les lances de Gundleus.
J’aurais pu écrire cette vérité, bien entendu, mais les bardes m’ont appris à
mettre en forme une histoire afin de tenir les auditeurs en haleine, dans
l’attente de ce qu’ils ont envie d’entendre, et je crois donc que le récit est
plus haletant si l’on diffère la nouvelle de l’arrivée d’Arthur jusqu’à la
dernière minute. C’est un péché véniel que de prendre ainsi des libertés avec
l’histoire, mais Dieu sait que Sansum ne le pardonnerait jamais.
C’est encore
l’hiver ici, à Dinnewrac. Il fait un froid de canard, mais le roi Brochvael a
ordonné à Sansum de faire du feu après qu’on eut retrouvé Frère Aron mort,
gelé, dans sa cellule. Le saint a refusé tant que le roi n’enverrait pas de
bois de son Caer ; maintenant, nous avons donc du feu, bien que les foyers
ne soient pas très nombreux et jamais bien grands. Reste que, même modeste, le
feu facilite mon travail, et ces derniers temps le bienheureux Sansum s’est
montré moins suspicieux. Deux novices sont venus renforcer notre petit
troupeau, des garçons dont la voix ne s’est pas encore cassée, et Sansum a pris
sur lui de les former aux usages de Notre Très Précieux Sauveur. Le saint est
tellement soucieux des âmes immortelles qu’il tient même à ce que les garçons
partagent sa cellule et il paraît fort aise de leur compagnie. Rendons grâces à
Dieu de cela et du don du feu, et de la force de poursuivre l’histoire
d’Arthur, le Roi qui n’a jamais été, l’Ennemi de Dieu et notre Seigneur des
Batailles.
*
Je vous
épargnerai les détails de cet affrontement devant Caer Cadarn. Ce fut une
débandade, pas une bataille, et seule une poignée de Siluriens réussit à
s’échapper. Ligessac, le félon, parvint à s’enfuir, mais la plupart des hommes
de Gundleus furent capturés. Une vingtaine d’ennemis trouvèrent la mort, y
compris les deux combattants nus qui tombèrent sous la lance d’Owain. Gundleus,
Ladwys et Tanaburs furent pris vivants. Je n’ai tué personne. Je n’ai pas même
hoché la lame de mon épée.
Au demeurant
je n’ai pas grand souvenir de la déroute, car je ne pensais qu’à une
chose : regarder Arthur.
Il était monté
sur Llamrei, sa jument, une grande bête noire avec des fanons touffus et des
sandales de fer plates nouées à ses sabots par des lanières de cuir. Tous les
hommes d’Arthur montaient des grands chevaux de ce type au naseau largement
fendu pour leur faciliter la respiration. D’extraordinaires boucliers de cuir
renforcé qui protégeaient leur poitrail des coups de lance rendaient les bêtes
encore plus inquiétantes. Les carapaces étaient si épaisses et encombrantes que
les chevaux ne pouvaient baisser la tête pour paître à la fin de la bataille,
et Arthur ordonna à l’un de ses palefreniers de détacher l’armure pour
permettre à Llamrei de se nourrir. Chaque cheval avait besoin de deux garçons
d’écurie, l’un pour s’occuper de son armure, de sa housse et de sa selle,
l’autre pour le conduire par la bride, tandis qu’un troisième serviteur portait
la lance et le bouclier du guerrier. Arthur avait une lance aussi longue que
lourde, baptisée Rhongomyniad, alors que son bouclier, Wynebg-wrthucher, était
en bois de saule recouvert d’une peau d’argent battu poli jusqu’à en être
éblouissant. À sa hanche pendait son couteau, Carnwenhau, et sa fameuse épée,
Excalibur, dans son fourreau noir quadrillé de fil d’or.
Dans un
premier temps, je ne pus voir sa tête enfermée dans un
Weitere Kostenlose Bücher