Le Roi de l'hiver
ap Ednywain, le chef de Caer Gei qui
accueillit dans sa maison Igraine et ses quatre bâtards quand Uther les rejeta.
Ce rejet se produisit l’année même où Arthur vit le jour, et Igraine ne le
pardonna jamais à son fils. Elle disait qu’Arthur était un enfant de trop, et
elle croyait qu’elle serait toujours restée la maîtresse d’Uther si Arthur
n’était pas né.
Arthur était
le quatrième des enfants d’Igraine à survivre à la petite enfance. Les trois
autres étaient des filles et, de toute évidence, il agréait à Arthur qu’elles
fussent du sexe faible, car de ce fait elles étaient moins susceptibles de
prétendre à une part de son patrimoine en grandissant. Cei et Arthur furent
élevés ensemble, et Cei prétend, mais jamais quand Arthur
peut l’entendre, qu’ils avaient tous deux peur d’Igraine. Arthur, me confia-t-il,
était un enfant appliqué et travailleur, qui faisait de son mieux, qu’il s’agît
d’apprendre à lire ou à manier l’épée, mais rien de ce qu’il put faire ne
contenta jamais sa mère, alors même qu’Arthur lui vouait un véritable culte et
la défendait. Lorsque la fièvre l’emporta, il se montra inconsolable. Arthur
avait alors treize ans et Ector, son protecteur, demanda à Uther d’aider les
quatre orphelins sans le sou d’Igraine. Uther les fit venir à Caer Cadarn,
probablement parce qu’il se disait que les trois filles feraient d’utiles pions
dans le jeu des mariages dynastiques. Le mariage de Morgane avec un prince de
Kernow fut de courte durée, grâce au feu, mais Morgause épousa le roi Lot de
Lothian, et Anne fut donnée au roi Budic ap Camran d’Armorique. Ces deux derniers
mariages n’avaient pas grande importance, car aucun de ces rois n’était assez
près pour dépêcher des renforts vers la Dumnonie en cas de guerre, mais tous
deux servaient de petits desseins. Quant à Arthur, étant un garçon, il n’avait
pas cette utilité : il alla donc à la cour d’Uther, où il apprit à manier
l’épée et la lance. Il connut aussi Merlin, même si ni l’un ni l’autre ne
parlaient beaucoup de ce qui se passa entre eux au cours de ces mois avant que,
désespérant d’être jamais promu par Uther, il suivît sa sœur Anne en Armorique.
Là-bas, dans le trouble de la Gaule, il devint un grand soldat et Anne, sachant
bien qu’un frère guerrier était un parent précieux, veilla à tenir Uther au
courant de ses exploits. Voilà pourquoi Uther l’avait fait revenir en Bretagne
pour la campagne qui se termina par la mort de son fils. Le reste, vous le
connaissez.
Et maintenant
que j’ai raconté à Igraine tout ce que je savais de l’enfance d’Arthur, nul
doute qu’elle embellisse cette histoire des légendes que colportent déjà les
petites gens sur le compte d’Arthur. Igraine emporte ces peaux, l’une après
l’autre, puis les fait transcrire dans la langue des Bretons par Dafydd ap
Gruffud, le clerc de justice qui parle la langue des Saxons. Je ne lui fais pas
davantage confiance qu’à Igraine pour soustraire ces mots aux caprices de leur
imagination. Parfois, je voudrais être assez audacieux pour coucher ce récit en
breton, mais Mgr Sansum, que Dieu chérit plus que tous les saints, soupçonne
encore ce que j’écris. À l’occasion, il a essayé d’interrompre ce travail ou il
a commandé aux petits démons de Satan de m’entraver. Un jour, j’eus la surprise
de voir que toutes mes plumes avaient disparu ; un autre jour, il y avait
de l’urine dans mon encrier, mais Igraine arrange tout et, sauf à apprendre à
lire et à maîtriser le saxon, Sansum n’aura jamais la confirmation que ce
travail n’est pas, en vérité, un Évangile saxon.
Igraine me
presse d’écrire davantage et plus vite, me supplie de dire la vérité sur
Arthur, mais ensuite elle se plaint que la vérité ne soit pas à la hauteur des
contes de fées qu’elle entend dans les cuisines de Caer ou dans sa garde-robe.
Elle veut des bêtes qui se métamorphosent et qui interrogent, mais je ne puis
inventer ce que je n’ai pas vu. Il est vrai, Dieu me pardonne, que j’ai changé
certaines choses, mais rien d’important. Ainsi, lorsque Arthur nous a sauvés
devant Caer Cadarn, j’ai compris qu’il venait bien avant qu’il ne parût
vraiment, car Owain et ses hommes savaient depuis le début qu’Arthur et ses
cavaliers, fraîchement débarqués d’Armorique, se cachaient dans les bois au
nord de Caer Cadarn, tout comme ils
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