Le Roi de l'hiver
familiers, mais cette nuit-là
ils ne signifiaient rien : Dagonet, Aglaval, Cei, Lanval, les frères Balan
et Balin, Gawain et Agravain, Blaise, Illtyd, Eiddilig, Bedwyr. Je remarquai
Morfans, car je n’avais jamais vu d’homme aussi laid, si laid qu’il s’enorgueillissait
de son regard de travers, de son goitre, de son bec de lièvre et de sa mâchoire
mal formée. Je repérai aussi Sagramor, car il était noir, et que je n’avais
jamais vu d’hommes pareils. Je n’y croyais pas. Grand et efflanqué, c’était un
homme renfrogné et laconique, mais si on parvenait à le persuader de raconter
une histoire avec son horrible accent breton, il pouvait captiver une salle
entière.
Et,
naturellement, je repérai Ailleann. Une femme gracile aux cheveux noirs, de
quelques années plus âgée qu’Arthur, avec un visage mince, grave et doux, qui
lui donnait un air de grande sagesse. Cette nuit-là, elle était parée comme une
reine, avec sa robe de lin couleur rouille teinte avec du minerai de fer, une
chaîne d’argent massif et de larges manches ourlées de loutre. Elle portait un
torque resplendissant d’or massif autour de son long cou, des bracelets d’or
aux poignets et, sur la poitrine, une broche émaillée ornée d’un ours :
symbole d’Arthur. Elle évoluait avec grâce, parlait peu et considérait Arthur
d’un air protecteur. Je me dis qu’elle devait être une reine, ou au moins une
princesse, sauf qu’elle portait des bols de nourriture et des flasques
d’hydromel comme une vulgaire servante.
« Ailleann
est une esclave », dit Morfans l’Affreux. Il était accroupi sur le sol, en
face de moi. Il m’avait vu suivre des yeux la grande femme qui s’éloignait des
brasiers pour se perdre dans les ombres scintillantes de la salle.
« De qui
est est-elle l’esclave ?
— À ton
avis ? » demanda-t-il en se fourrant une côte de porc dans la bouche
et en se servant de ses deux dernières dents pour détacher l’os de la chair
succulente. « D’Arthur » , reprit-il après qu’il eut lancé l’os à
l’un des nombreux chiens présents dans la salle. « Et elle est sa maîtresse
autant que son esclave, naturellement. » Il rota, puis but dans une corne.
« C’est son beau-frère, le roi Budic, qui la lui a donnée. Il y a
longtemps. Elle a bien quelques années de plus qu’Arthur et, à mon avis, Budic
devait penser qu’il ne la garderait pas longtemps, mais dès qu’Arthur s’est
entiché de quelqu’un, c’est pour toujours. Et voilà ses jumeaux. » Il
pointa sa barbe graisseuse vers le fond de la salle où deux gamins maussades
qui devaient avoir neuf ans étaient accroupis dans la saleté avec leurs bols de
nourriture.
« Les
fils d’Arthur ?
— De
personne d’autre ! répondit Morfans sur le ton de la dérision. Amhar et
Loholt, qu’ils s’appellent, et leur père les adore. Rien n’est trop bon pour
ces petits bâtards, car c’est exactement ce qu’ils sont, mon gars, des bâtards.
Des petits bâtards qui sont des bons à rien. » Sa voix trahissait une
vraie haine. « C’est moi qui te le dis, fils, Arthur ap Uther est un grand
homme. C’est le meilleur soldat que j’aie jamais connu, l’homme le plus
généreux et le plus juste des seigneurs, mais pour ce qui est d’engendrer des
enfants, je ferais mieux avec une truie pour mère.
— Sont-ils
mariés ? » demandai-je en dirigeant de nouveau mes regards vers
Ailleann.
Morfans rit.
« Bien
sûr que non, mais elle l’a rendu heureux ces dix dernières années.
Souviens-toi, le jour viendra où il la renverra comme son père a renvoyé sa
mère. Arthur épousera l’héritière d’une famille royale, elle ne sera pas moitié
aussi gentille qu’Ailleann, mais les hommes comme Arthur n’ont pas le choix. Ils
doivent faire un beau mariage. Pas comme toi et moi, petit. Nous pouvons
épouser qui bon nous semble, du moment que ce n’est pas la fille d’une famille
royale. Écoute-moi ça ! »
Une femme
hurlait dehors dans la nuit. Son visage rayonnait.
Owain avait quitté
la salle, et Ladwys était manifestement en train d’apprendre ses nouveaux
devoirs. Le cri fit sursauter Arthur, Ailleann releva sa jolie tête et le
regarda de travers, mais Nimue fut la seule autre personne de la salle à
remarquer la détresse de Ladwys. Son visage bandé était tiré et triste, mais le
hurlement la fit sourire en raison du tourment qu’il ne manquerait pas
d’infliger à Gundleus. Il
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