Le Roi de l'hiver
quand l’un des hommes d’Owain l’entraîna. Tanaburs
riait de sa détresse. Il était druide, si bien qu’on ne pouvait lui faire aucun
tort. Il n’était pas prisonnier, mais libre d’aller et venir, même s’il allait
devoir déguerpir sans vivres, sans bénédiction ni compagnie. Toujours est-il
que, enhardi par les événements du jour, je ne pouvais le laisser aller sans
parler et je le suivis donc à travers la clairière jonchée de cadavres de
Siluriens.
« Tanaburs ! »
lançai-je dans son dos.
Le druide se
retourna et me vit tirer mon épée.
« Attention,
petit », fit-il en esquissant un signe d’avertissement avec son bâton
surmonté d’une lune.
J’aurais dû
avoir peur, mais une nouvelle ardeur guerrière monta en moi tandis que je me
rapprochais de lui et pointais mon épée sur sa barbe blanche en bataille. Au
contact de l’acier, il rejeta sa tête en arrière en faisant cliqueter les os
jaunes noués à ses cheveux. Son vieux visage était ridé, brun et couperosé, ses
yeux rouges, son nez tordu.
« Je
devrais te tuer. »
Il rit.
« Et la
malédiction de la Bretagne te suivra. Ton âme ne gagnera jamais l’Au-Delà, tu
souffriras des tourments inconnus et sans nombre, dont je serai
l’auteur. »
Il cracha vers
moi et essaya de dégager sa barbe de mon épée, mais je resserrai mon étreinte
sur la garde. Soudain, il eut l’air alarmé en prenant conscience de ma force.
Quelques
curieux m’avaient suivi, et d’aucuns essayaient de me prévenir du redoutable
destin qui me tourmenterait si je tuais le druide, mais je n’avais aucunement
l’intention d’occire le vieillard. Je voulais juste l’effrayer. « Il y a
dix ans ou plus, tu es venu sur les terres de Madog. » Madog était l’homme
qui avait asservi ma mère, et dont le jeune Gundleus avait pillé la ferme.
Tanaburs hocha
la tête en se souvenant du raid.
« Ah oui,
ah ça oui. Une bien belle journée ! Nous avons pris beaucoup d’or, et
quantité d’esclaves !
— Et tu
as fait une fosse de la mort.
— Ah
bon ? fit-il dans un haussement d’épaules, avant de me lorgner d’un regard
hargneux. Il faut rendre grâces aux Dieux de la bonne fortune. »
Je souris en
chatouillant sa gorge décharnée de la pointe de mon épée.
« Eh
bien, j’ai vécu, druide, j’ai vécu. »
Il fallut à Tanaburs
quelques secondes pour comprendre ce que je venais de dire, puis il pâlit et
trembla, car il savait que moi, seul de toute la Bretagne, j’avais le pouvoir
de le tuer. Il m’avait sacrifié aux Dieux, mais l’incurie dont il avait fait
preuve en la circonstance signifiait que les Dieux m’avaient donné le pouvoir
de disposer de sa vie. Il hurla de terreur, imaginant que ma lame était sur le
point de lui transpercer le gosier, mais je retirai mon épée de sa barbe en
broussailles et, tout hilare, je le regardai clopiner à travers le champ. Il
avait hâte de m’échapper, mais juste avant d’atteindre le bois où la poignée de
survivants siluriens avaient fui, il se retourna en pointant sur moi une main
osseuse. « Ta mère vit, petit ! hurla-t-il. Elle vit. » Puis il
disparut.
Je restai là,
bouche bée, mon épée à la main. Non que je fusse submergé par une émotion
particulière, car je me rappelais à peine ma mère et n’avais aucun souvenir
véritable d’une quelconque affection entre nous, mais l’idée même qu’elle fût
vivante chambardait tout mon univers aussi violemment que la destruction, ce
matin même, de l’antre de Merlin. Puis je secouai la tête. Comment Tanaburs
pouvait-il se souvenir d’une esclave parmi tant d’autres ? Assurément il
parlait faux, de simples paroles pour me troubler, sans plus. Je rengainai mon
épée et, d’un pas lent, regagnai la forteresse.
Gundleus fut
placé sous bonne garde dans une annexe du grand palais de Caer Cadarn. Il y eut
un genre de banquet cette nuit-là, mais comme il y avait foule dans la
forteresse les portions de viande furent petites et cuisinées à la hâte. Les
vieux amis passèrent une bonne partie de la nuit à échanger des nouvelles de
Bretagne et d’Armorique, car nombre des fidèles d’Arthur étaient originaires de
Dumnonie ou d’autres royaumes bretons. Les noms de ces hommes se brouillaient
dans ma tête, car il y avait plus de soixante-dix cavaliers dans sa bande,
ainsi que des palefreniers, des serviteurs, des femmes et une ribambelle
d’enfants. Avec le temps, ces noms me devinrent
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