Le Roman d'Alexandre le Grand
guerre, monté sur roues et tiré par quatre chevaux.
Son funeste grondement résonna
jusqu’aux murs de la ville où, quelques jours plus tôt, les Thébains avaient
tenté d’assiéger la garnison macédonienne de la citadelle de Cadmée. Le
souvenir des deuils subis et la peur de cette armée menaçante permirent
d’apaiser un moment les âmes les plus turbulentes, mais non d’éteindre leur
haine et leur volonté de revanche.
« Cela suffira-t-il ?
demanda Alexandre à Héphestion tandis qu’ils défilaient au pied des murailles
thébaines.
— Pour l’instant, oui. Mais ne
te fais pas d’illusions. Comment agiras-tu envers les autres villes qui ont
chassé nos garnisons ?
— Je ne ferai rien. Je veux
être le guide des Grecs, pas leur tyran. Ils doivent comprendre que je ne leur
suis pas hostile. Que l’ennemi se trouve de l’autre côté de la mer ; c’est
le Perse, qui nie toute liberté aux villes grecques d’Asie.
— Est-il vrai que tu as demandé
une enquête sur la mort de ton père ?
— Oui, à Callisthène.
— Et penses-tu qu’il parviendra
à découvrir la vérité ?
— Je pense qu’il fera tout son
possible.
— Et s’il démasquait des
Grecs ? Les Athéniens, par exemple ?
— Je prendrai les mesures
nécessaires en temps voulu.
— On a aperçu Callisthène en
compagnie d’Aristote, le savais-tu ?
— Bien sûr.
— Et comment expliques-tu le
fait qu’Aristote ne vienne pas s’entretenir avec toi ?
— Il a été difficile de me
parler, ces derniers temps. Il est probable également qu’il veuille conserver
une totale indépendance de jugement. »
Le dernier détachement des hétairoï
disparut au milieu du grondement, de plus en plus faible, du tambour, et les
Thébains se réunirent en conseil pour délibérer. Ils avaient reçu une lettre de
Démosthène, encore à Calaurie, qui les exhortait à ne pas désespérer, à se
tenir prêts pour l’instant de la délivrance.
« Un adolescent siège sur le
trône de Macédoine, disait-il, et la situation est favorable. »
La missive de l’orateur enthousiasma
les Thébains, mais nombre d’entre eux prônaient la prudence. Un vieillard, qui
avait perdu deux fils à Chéronée, intervint : « Cet adolescent ainsi
que Démosthène l’appelle, a reconquis la Thessalie en trois jours, sans coup
férir, et nous a lancé un message bien précis par le biais de la parade qu’il a
effectuée sous nos murs. Moi, je l’écouterais. »
Mais les voix courroucées qui
s’élevaient de tous côtés étouffèrent cette invitation à la raison, et les
Thébains décidèrent de se soulever à la première occasion.
Alexandre atteignit Corinthe sans
rencontrer d’autres obstacles ; il convoqua le conseil de la ligue
panhellénique et lui demanda de le confirmer dans ses fonctions de général de
toutes les armées confédérées. « Chaque État membre sera libre de se
gouverner ainsi qu’il l’entend ; nous n’exercerons aucune ingérence dans
le domaine de ses règlements intérieurs et de sa constitution, proclama-t-il du
siège qui avait appartenu à son père. La ligue n’a qu’un seul but : libérer
les Grecs d’Asie du joug des Perses et entretenir une paix durable parmi les
Grecs de la péninsule. »
Tous les délégués signèrent la
motion, à l’exception des Spartiates qui n’avaient pas même adhéré à la ligue
de Philippe.
« Nous avons depuis toujours
l’habitude de mener les Grecs et non d’être menés, déclara leur envoyé à
Alexandre.
— Je le regrette, répliqua le
roi, car les Spartiates sont de magnifiques guerriers. Mais aujourd’hui, les
Macédoniens constituent le peuple le plus puissant de la Grèce, il est donc
juste qu’ils tiennent les rênes de la ligue et qu’ils aient l’hégémonie. »
Mais il s’exprimait avec amertume,
car il se souvenait du courage avec lequel les Lacédémoniens s’étaient battus
aux Thermopyles et à Platées. Il comprenait qu’aucune puissance n’était en
mesure de résister à l’usure du temps : seule la gloire de ceux qui ont
vécu honorablement s’accroît au fil du temps.
Sur le chemin du retour, il voulut
visiter Delphes. Il fut fasciné par les merveilles de la ville sacrée. Il
s’arrêta devant le fronton du sanctuaire d’Apollon, et lut les mots qui y
étaient gravés en lettres d’or : Connais-toi toi-même.
« Qu’est-ce que cela peut bien
signifier, d’après toi ? »,
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