Le Roman d'Alexandre le Grand
l’automne : Antipatros demanda audience
au roi, et Alexandre le reçut dans le bureau qui avait appartenu à son père.
Bien qu’il fût un soldat à part entière, Antipatros n’aimait pas le
montrer ; il avait ainsi coutume de s’habiller comme un citoyen ordinaire.
C’était une preuve de son équilibre et de son assurance.
« Sire, annonça-t-il en
entrant, j’ai des nouvelles en provenance d’Asie : Attale a refusé de
céder son commandement et de rentrer à Pella ; il a opposé une résistance
armée et a été tué. Parménion t’assure de sa sincère fidélité.
— Antipatros, je voudrais
savoir ce que tu penses vraiment de Parménion. Il sait que son fils Philotas
est ici, au palais. Il pourrait penser que je le tiens en otage. Est-ce, à ton
avis, la raison de sa déclaration de fidélité ?
— Non, répondit sans hésiter le
vieux général. Je connais bien Parménion. Il t’est attaché, il t’a toujours
aimé, depuis l’époque où tu étais enfant et que tu venais t’asseoir sur les
genoux de ton père pendant les conseils de guerre dans l’armurerie royale. »
Soudain, Alexandre se souvint de la
comptine qu’il chantait chaque fois qu’il voyait les cheveux blancs de
Parménion :
Le vieux soldat qui part en
guerre, tombe par terre, tombe par terre !
Il se sentit envahi par une profonde
tristesse en songeant que le pouvoir modifiait dramatiquement les rapports
humains.
Antipatros continua :
« Mais si tu as des doutes, il n’y a qu’un moyen de les chasser.
— Lui envoyer Philotas.
— Exactement. D’autant plus que
ses deux autres fils, Nicanor et Hector, sont déjà à ses côtés.
— C’est ce que je vais faire.
Je chargerai Philotas de lui remettre une lettre le rappelant à Pella. J’ai
besoin de lui : je crains qu’une tempête ne soit sur le point d’éclater.
— Cette décision me paraît fort
sage, sire. Si Parménion apprécie une chose, c’est la confiance.
— Quelles nouvelles as-tu du
Nord ?
— De mauvaises nouvelles. Les
Triballes se soulèvent, ils ont incendié plusieurs de nos garnisons
frontalières.
— Que me conseilles-tu ?
— Je leur ai adressé des
messages. S’ils devaient les ignorer, frappe-les aussi durement que tu le peux.
— Bien sûr. Et dans le
Sud ?
— Rien de bon. Le parti
antimacédonien se renforce un peu partout, jusqu’en Thessalie. Tu es très
jeune, et certains pensent que…
— Parle librement.
— Que tu manques d’expérience
et que tu ne parviendras pas à sauvegarder l’hégémonie que Philippe a établie.
— Ils le regretteront vite.
— Il y a autre chose.
— Oui ?
— Ton cousin Archélaos…
— Continue, lui ordonna
Alexandre, le visage sombre.
— … Il a été victime d’un
accident de chasse.
— Il est mort ? »
Antipatros acquiesça.
« Quand mon père a conquis son
trône, il l’a épargné, tout comme Amyntas, même s’ils étaient tous deux en
droite ligne de succession jusqu’à ce moment-là.
— Un accident de chasse, sire,
répéta Antipatros, l’air impassible.
— Où est Amyntas ?
— En bas, dans le corps de
garde.
— Je ne veux pas qu’il lui
arrive malheur : il était à mes côtés après l’assassinat de mon
père. »
Antipatros eut un signe
d’assentiment, puis il se dirigea vers la porte.
Resté seul, Alexandre se leva et
marcha jusqu’à la grande carte d’Aristote, qu’il avait tenu à installer dans
son bureau : l’Est et l’Ouest lui semblaient acquis, sous la surveillance
d’Alexandre d’Épire et de Parménion, pour autant qu’il puisse compter sur ce
dernier. Mais le Nord et le Sud représentaient de graves menaces. Il devait
frapper au plus vite et durement, de façon à prouver que la Macédoine possédait
un souverain aussi fort que Philippe.
Il sortit sur le chemin de ronde qui
donnait au nord et porta son regard vers les montagnes où il avait vécu en
exil. Les forêts commençaient à changer de couleur à l’approche de l’automne,
bientôt la neige tomberait : jusqu’au printemps, la situation demeurerait
tranquille dans cette région. Il fallait donc, pour le moment, effrayer les
Thessaliens et les Thébains, et trouver un plan d’action en attendant que
Philotas et Parménion rentrent d’Asie.
Il réunit son conseil de guerre
quelques jours plus tard.
« Je pénétrerai en Thessalie
avec l’armée, sur le pied de guerre ; je les obligerai à me reconfirmer
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