Le Roman d'Alexandre le Grand
lui donne quelque douceur.
La reine le caressa. « Ce petit
chien est bien gentil, quoi qu’un peu… encombrant », dit-elle avant de
s’éloigner en laissant des provisions à son fils adoptif et à ses amis, de
grands garçons dotés d’un solide appétit. Alexandre la regarda monter sur sa
jument blanche, accompagnée de deux serviteurs, l’un l’abritant du soleil,
l’autre chassant les mouches qui se pressaient autour de sa monture. Quand il
se retourna, ses yeux croisèrent ceux d’Eumène, qui hésitait entre le rire et
la solennité de circonstance.
« Malheur à toi si tu vas tout
raconter à ma mère ! menaça-t-il. Elle serait capable de me faire
empoisonner. » Puis il s’adressa à Péritas, qui ne cessait d’aboyer :
« Et toi, va te coucher ! », cria-t-il.
De bonne heure, le lendemain,
Alexandre ordonna à Parménion de conduire son armée vers Mylasa et de recevoir
en son nom la soumission des villes qu’il rencontrerait sur son chemin,
qu’elles soient grandes ou petites. Puis il partit pour Alinda en compagnie
d’Héphestion et de ses gardes du corps.
Ils traversèrent de vastes vignobles
qui dégageaient un parfum délicat et intense, de vertes étendues de blé, ainsi
que des prairies constellées de fleurs de toutes les espèces et de toutes les
couleurs, où triomphaient les larges taches écarlates des coquelicots.
Alinda leur apparut soudain dans la
chaleur du soleil méditerranéen, au sommet d’une colline. Retranchée derrière
des murs massifs en pierre grise, la ville était dominée par la masse imposante
de la forteresse, pourvue de tours sur lesquelles flottaient les étendards
bleus du royaume de Carie.
Des soldats armés de longues lances,
d’arcs et de carquois étaient alignés sur les chemins de ronde, tandis que deux
rangs de guerriers en armure de parade, montés sur des chevaux aux
harnachements somptueux, gardaient la porte d’entrée.
Bientôt la porte s’ouvrit, et la
reine Ada apparut sur une chaise surmontée d’un dais et portée par seize
esclaves à moitié nus. Devant elle, de jeunes Cariennes vêtues de péplos à la
grecque lançaient des pétales de roses.
Alexandre sauta à terre et
poursuivit son chemin à pied, en compagnie d’Héphestion. Ada fit signe aux
esclaves de la déposer. Elle marcha à la rencontre de son fils adoptif, qu’elle
embrassa sur les joues et sur le front.
« Comment vas-tu, maman ?
— Bien, quand je te
vois », répondit la reine.
Elle ordonna qu’on éloigne sa chaise
et, glissant le bras sous celui d’Alexandre, avança vers la ville où se
pressait une foule joyeuse et impatiente.
Les fenêtres s’ouvraient sur des
pluies de roses et de coquelicots, dont les têtes et les pétales tournoyaient
longuement dans les airs, poussés par la brise printanière qui dégageait une
odeur d’herbe coupée et de foin frais.
Une musique de flûtes et de harpes
s’élevait sur leur passage, une mélodie douce et vaguement enfantine qui
rappela au souverain les refrains que lui chantait sa nourrice lorsqu’il était
petit.
Il fut envahi par une forte émotion
au milieu de ces gens en fête, de ce tourbillon de couleurs et de parfums, au
bras de sa mère suave, affectueuse et inconnue. Cette terre, dont chaque recoin
lui révélait un mystère qui pouvait tout aussi bien receler une embuscade
sanglante que la magie d’un lieu enchanteur, le séduisait de plus en plus, le
poussait vers l’avant, à la recherche de nouvelles sources d’émerveillement.
Qu’y avait-il derrière les montagnes qui formaient comme une couronne autour
d’Alinda ?
Précédés par un cortège de
dignitaires aux somptueux habits tissés d’or et d’argent, ils atteignirent le
portail de la forteresse, historié de figures de héros et de dieux. Au sommet
de l’escalier qui menait à l’intérieur se dressaient deux trônes, l’un central
et haut, l’autre, à sa droite, plus bas et plus modeste.
Ada lui indiqua le siège le plus
imposant et s’assit à ses côtés. La place qui s’étendait au pied de la
forteresse s’était remplie de gens de toutes origines et de tous milieux, et
quand elle fut bondée, un héraut lui imposa le silence. D’une voix de stentor,
il déclama ensuite l’acte d’adoption en langue carienne et en langue grecque.
Il y eut des applaudissements
interminables, auxquels la reine répondit par un léger signe de la main, tandis
qu’Alexandre levait les bras ainsi qu’il avait
Weitere Kostenlose Bücher