Le Roman d'Alexandre le Grand
convient
guère : tu aimes trop la belle vie.
— Je prends ce dont j’ai besoin
où je peux le trouver, et je dois savoir tout ce qui est bon à savoir. Je
déciderai ensuite ce qu’il me faudra passer sous silence, ce qu’il me faudra raconter,
et comment il faudra m’y employer. C’est le privilège de l’historien.
— Et pourtant de nombreuses
choses se produisent en ce moment dont tu n’as pas la moindre idée.
Contrairement à moi.
— Ah bon, et à quoi fais-tu
allusion, s’il m’est permis de le savoir ?
— Aux plans de Memnon. Je viens
de prendre conscience qu’il a étudié tous mes faits d’armes et peut-être ceux
de mon père. C’est ce qui lui permet de nous devancer.
— À ton avis, à quoi pense-t-il
pour le moment ?
— À l’assaut de
Périnthe. »
Callisthène aurait souhaité poser
d’autres questions à Alexandre, mais celui-ci l’abandonna en compagnie du
cadavre qui gisait à ses pieds. Il sauta sur son cheval et s’éloigna, tandis
que les restes des deux tours s’effondraient en dégageant un tourbillon de fumée
que le vent emporta.
Les machines furent reconstruites
non sans efforts, avec des troncs d’oliviers noueux et durs, et les opérations
de guerre stagnèrent. Régulièrement approvisionné par la mer, Memnon n’était
nullement pressé de tenter une sortie, et Alexandre refusait d’utiliser les
machines restantes avant de les avoir fait inspecter l’une après l’autre, car
elles avaient été également endommagées par des incendies mineurs.
Ce qui l’inquiétait plus que tout,
c’étaient les bruits qui provenaient de la ville : des bruits très
caractéristiques, semblables à ceux que produisaient ses charpentiers en
reconstruisant les machines.
Quand les nouvelles tours furent
enfin mises en place et que les béliers élargirent les brèches, le souverain
découvrit ce qu’il avait craint : de nouveaux remparts en demi-lune
raccordaient les sections de muraille encore intactes.
« C’est ce qui s’est passé à
Périnthe, rappela Parménion quand il vit ces fortifications improvisées se
dresser derrière les brèches comme un pied de nez.
— Et ce n’est pas fini,
intervint Cratère. Si vous voulez me suivre… »
Ils montèrent sur l’une des tours,
la plus orientée vers l’est, d’où ils purent observer ce que les assiégés
préparaient : une gigantesque structure quadrangulaire composée de grandes
poutres carrées, reliées entre elles dans le sens de la largeur et de la
longueur.
« Elle n’a pas de roues, dit
Cratère. Elle est encore au sol.
— Ils n’ont pas besoin de
roues, expliqua Alexandre. Ils ont l’intention de viser le passage pratiqué par
la brèche. Quand nous tenterons d’entrer, ils projetteront sur nous une grêle
de traits, et nous anéantiront.
— Memnon est un dur à cuire,
commenta Parménion. Je t’avais mis en garde, sire. »
Alexandre se tourna vers lui sans
dissimuler son agacement. « J’abattrai ces murs, les remparts et cette
maudite tour de bois, général, que Memnon le veuille ou non. » Puis il dit
à Cratère : « Surveille étroitement la tour et tiens-moi informé de
leurs faits et gestes. » Il dévala ensuite l’escalier, sauta sur son cheval
et regagna le campement.
La brèche fut une fois encore
élargie. Mais chaque assaut macédonien se soldait par une contre-attaque de
Memnon qui avait également aligné des archers sur les nouveaux remparts. La
situation paraissait donc sans issue, alors que le soleil de l’été brûlait de
plus en plus et que les réserves d’Alexandre s’amenuisaient.
Une nuit, alors que Perdiccas et ses
officiers montaient la garde devant la brèche, Alexandre fit distribuer à ses
hommes du vin d’Éphèse, que l’administration de la ville lui avait offert.
N’en ayant pas goûté d’aussi bon
depuis fort longtemps, Perdiccas et les siens ne surent se réfréner. Ils furent
bientôt ivres. L’un d’eux louait la beauté des femmes d’Halicarnasse dont il
avait entendu parler par un marchand au campement et les autres commencèrent
aussitôt à s’exciter, à lancer des fanfaronnades, à se mettre au défi
d’organiser un coup de main qui conclurait le siège.
Perdiccas sortit de sa tente et
contempla le maudit passage où tant de bons soldats macédoniens avaient laissé
leur vie. Soudain, il se revit, sous les murs de Thèbes en train de
s’introduire par la force dans la cité, alors que le siège
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