Le Roman d'Alexandre le Grand
s’était engagé dans une tout autre voie. Il se trouvait
alors en Asie, dans la ville d’Atarnée où il avait fondé, après la mort de son
maître Platon, une nouvelle école philosophique.
En revanche, Philippe, le jeune
assistant de Nicomaque, avait continué de travailler dans le cabinet du médecin
disparu. Il exerçait à présent sa profession avec grande habileté.
Les garçons qui vivaient à la cour
auprès d’Alexandre avaient, eux aussi, grandi en âme et en esprit, et les
inclinations qu’ils avaient montrées au cours de leur enfance s’étaient en
partie confirmées. Les camarades du même âge que le prince - Héphestion, son
inséparable ami, Perdiccas et Séleucos - formaient un groupe très uni, aussi
bien dans leurs jeux que dans leurs études. Avec le temps, Lysimaque et
Léonnatos s’étaient habitués à la vie en communauté et manifestaient leur joie
de vivre dans les exercices physiques et dans les jeux d’habileté.
Léonnatos, en particulier, était
passionné de lutte, raison pour laquelle il était perpétuellement ébouriffé,
couvert d’égratignures et de bleus. Les plus grands, comme Ptolémée et Cratère,
étaient déjà des jeunes gens et recevaient depuis longtemps une dure
instruction militaire dans la cavalerie.
Au cours de cette période, leur
groupe s’ouvrit à un Grec dénommé Eumène, qui travaillait comme assistant à la
chancellerie du roi et qui était très apprécié pour son intelligence et sa
perspicacité. Comme Philippe avait voulu qu’il fréquente la même école que les
autres garçons, Léonidas lui trouva une place dans leur dortoir, mais Léonnatos
le défia aussitôt à la lutte.
« Si tu veux mériter ta place,
tu dois te battre », affirma-t-il, torse nu, après avoir ôté son chiton.
Eumène ne daigna pas le regarder. « Tu es fou ? Cette idée ne me
traverse même pas l’esprit », dit-il. Et il se mit à ranger ses vêtements
dans le coffre, au pied de son lit.
Lysimaque se moqua de lui :
« Je l’avais bien dit. Ce Grec ne vaut pas un pet. » À son tour,
Alexandre éclata de rire.
Léonnatos poussa Eumène et l’envoya
rouler à terre. « Alors, tu veux te battre, oui ou non ? »
Le Grec se releva, l’air agacé,
lissa ses vêtements et dit : « Un instant, je reviens tout de
suite. » À la stupéfaction générale, il se dirigea vers la porte. Une fois
sorti, il s’approcha d’un soldat qui montait la garde sur la galerie supérieure
du palais – un Thrace aussi gros qu’un ours –, tira de sa poche quelques pièces
de monnaie et les lui tendit en lui ordonnant : « Suis-moi, j’ai un
travail pour toi. » Il le précéda dans le dortoir et indiqua
Léonnatos : « Tu vois ce garçon avec des taches de rousseur et des
cheveux roux ? », interrogea-t-il. Le géant acquiesça. « Bien.
Attrape-le et administre-lui une belle correction. »
Léonnatos comprit aussitôt que les
choses tournaient mal. Il bondit entre les jambes du Thrace comme Ulysse entre
celles de Polyphème, et dévala l’escalier.
« L’un de vous a-t-il quelque
chose à objecter ? » demanda Eumène en retournant à ses effets
personnels.
« Oui, moi », intervint
Alexandre.
Eumène s’interrompit et se tourna
vers lui : « Je t’écoute, dit-il avec un ton empreint de respect,
parce que tu es le maître de maison ; mais je ne tolérerai pas qu’un autre
de ces gamins me traite de pet. »
Alexandre éclata de rire.
« Bienvenue parmi nous, monsieur le secrétaire général. »
Dès lors, Eumène fit partie du
groupe comme un membre à part entière et devint l’inspirateur de toutes sortes
de plaisanteries et de moqueries. Leur victime était souvent leur maître, le
vieux Léonidas : les enfants glissaient des lézards dans son lit et des
grenouilles vivantes dans sa soupe aux lentilles, pour se venger des coups de
verge qu’il leur dispensait copieusement quand ils ne s’étaient pas assez
appliqués à leurs études.
Un soir, Léonidas, qui était encore
le principal responsable de leur instruction, leur annonça que le souverain
recevrait, le lendemain, la visite d’une ambassade perse et qu’il participerait
lui aussi à cette mission diplomatique en raison de ses connaissances sur
l’Asie et ses coutumes. Les plus grands, précisa-t-il, devraient prendre du
service dans la garde d’honneur du roi, revêtus de leur armure de parade, alors
que les plus jeunes s’acquitteraient d’une fonction
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