Le Roman d'Alexandre le Grand
demanda-t-il.
La fillette ne répondit pas.
« Elle ne sait probablement pas
parler », intervint Philippe. Alexandre se tourna vers son père :
« Je peux transformer son destin. Je veux le transformer. »
Philippe acquiesça : « Tu
peux le faire, si tu le souhaites mais rappelle-toi que le monde ne changera
pas pour autant. »
Alexandre fit monter la petite sur
son cheval, derrière lui, et la couvrit de son manteau.
Ils regagnèrent Amphipolis au
crépuscule et logèrent chez un ami du roi. Alexandre ordonna que la fillette
soit lavée et vêtue, et il l’observa pendant qu’elle mangeait.
Il essaya de lui parler ; elle
lui répondait par monosyllabes et ce qu’elle disait n’était pas compréhensible.
« Il s’agit d’une langue
barbare, lui expliqua Philippe. Pour communiquer avec elle, il te faudra
attendre qu’elle apprenne le macédonien.
— J’attendrai », répliqua
Alexandre.
Le lendemain, le temps s’améliora.
Ils entamèrent le voyage de retour en traversant le pont de bateaux qui
enjambait le Strymon. À Bromiscos, ils se dirigèrent vers le sud et longèrent
la péninsule du mont Athos. Ils chevauchèrent toute la journée et, au coucher
du soleil, atteignirent un surplomb d’où l’on apercevait un énorme fossé,
creusé dans la terre, qui coupait la péninsule en deux. Alexandre tira sur les
rênes de son destrier et contempla avec stupéfaction cette œuvre cyclopéenne.
« Tu vois ce fossé ?
demanda son père. Xerxès, l’empereur des Perses, l’a fait creuser il y a près
de cent cinquante ans pour permettre à sa flotte de passer et l’empêcher de se
briser contre les récifs du mont Athos. Dix mille hommes y ont travaillé en se
relayant jour et nuit. Le Grand Roi avait auparavant fait construire un pont de
bateaux à travers le détroit du Bosphore en soumettant l’Asie à l’Europe.
« Dans quelques jours, nous
recevrons une ambassade du Grand Roi. Je voulais que tu mesures la puissance de
l’empire avec lequel nous traitons. »
Alexandre hocha la tête tout en
examinant longuement cette œuvre colossale. Puis, voyant son père se remettre
en route, il talonna son cheval et le suivit.
« Je voudrais te poser une
question, lui dit-il après l’avoir rejoint.
— Je t’écoute.
— Il y a un garçon, à Pella,
qui fréquente les cours de Léonidas, mais qui reste toujours à l’écart. Les
rares fois où je le croise, il évite de me parler. Il a un aspect triste et
mélancolique. Léonidas refuse de me révéler son identité, mais je suis sûr que
toi, tu la connais.
— Il s’agit de ton cousin
Amyntas, répondit Philippe, le regard fixé devant lui. Le fils de mon frère qui
mourut au cours d’une bataille en combattant contre les Thessaliens. Il était
l’héritier du trône avant ta naissance, et je gouvernais à sa place en qualité
de régent.
— C’est donc lui le
souverain ?
— Le trône appartient à celui
qui peut le défendre, répliqua Philippe. Souviens-t-en. Voilà pourquoi ceux qui
ont pris le pouvoir dans notre pays ont toujours éliminé ceux qui auraient pu
le leur contester.
— Mais tu as laissé vivre
Amyntas.
— C’était le fils de mon frère,
et il ne pouvait me nuire en aucune façon.
— Tu as été… clément.
— Si tu veux.
— Père ? »
Philippe se retourna :
Alexandre ne l’appelait ainsi que lorsqu’il lui en voulait ou qu’il souhaitait
lui poser une question très sérieuse.
« Si tu devais mourir au
combat, qui serait l’héritier du trône ? Amyntas ou moi ?
— Le plus digne des
deux. »
L’enfant se tut, mais cette réponse
le frappa profondément et resta à jamais gravée dans son esprit.
Ils rentrèrent à Pella trois jours
plus tard. Alexandre confia à Artémisia la fillette qu’il avait arrachée aux
horreurs du mont Pangée.
« À partir d’aujourd’hui,
affirma-t-il avec une suffisance enfantine, elle sera attachée à mon service.
Et tu lui enseigneras tout ce qu’elle doit savoir.
— A-t-elle un nom, au
moins ? demanda Artémisia.
— Je l’ignore. Quoi qu’il en
soit, je l’appellerai Leptine.
— C’est un joli nom, qui
convient bien à une fillette. »
Ce jour-là, on apprit que Nicomaque
s’était éteint, à un âge très avancé. Cette nouvelle chagrina le
souverain : Nicomaque avait été un excellent médecin, et il avait mis au
monde son enfant.
Son cabinet ne fut pas fermé, même
si son fils, Aristote,
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