Le Roman d'Alexandre le Grand
Callisthène, qui se tenait à ses côtés,
l’entendit murmurer les vers d’Homère, l’exhortation que le héros lycien aurait
adressée à Glaucos avant son dernier combat :
Ah ! mon bon ami ! si nous
devions, en effet, en échappant à cette guerre, rester toujours exempts de
vieillesse de mort, je n’irais pas moi-même combattre aux premiers rangs, et
toi, je ne t’enverrais point dans le combat où la valeur s’illustre. Mais à
présent, puisque les Génies de la mort de toute façon par milliers nous
menacent et qu’il n’est pas possible à l’homme de les fuir et de les éviter,
allons … [4]
Puis Alexandre lui demanda :
« Penses-tu qu’il répéterait ces mots s’il avait encore le pouvoir de
parler ? » Sa voix était empreinte d’une profonde mélancolie.
« Qui peut le dire ? Il
n’est permis à personne de revenir de l’Hadès.
Le roi s’approcha de la tombe, où il
appuya ses mains et son front comme s’il tentait d’écouter une voix affaiblie
par les siècles. Enfin, il se retourna et reprit sa route, à la tête de son
armée.
Ils descendirent le fleuve jusqu’à
son embouchure, où s’ouvrait le port de Patara, le plus important de la Lycie.
La ville possédait de beaux bâtiments de style grec et les habitants étaient
également vêtus à la grecque, mais ils parlaient une langue très ancienne,
qu’il était impossible de comprendre sans l’aide d’un interprète. Le roi cantonna
l’armée et décida de faire une halte de plusieurs jours, car il espérait
recevoir des nouvelles de Parménion qui devait se trouver sur le haut plateau
intérieur. Mais il ne lui en arriva aucune. En revanche un navire macédonien se
présenta. C’était le dernier avant la mauvaise saison.
Le capitaine avait suivi une route
difficile et peu fréquentée pour éviter la flotte de Memnon. Il remit à
Alexandre un rapport d’Antipatros sur la situation macédonienne et sur les
différends qui l’opposaient violemment à la reine mère, Olympias.
Alexandre en fut contrarié et
profondément désolé, mais il se calma en apercevant sur un rouleau le sceau
royal des Molosses et l’écriture de sa sœur Cléopâtre. Il l’ouvrit non sans
appréhension et commença à lire :
Cléopâtre, reine des Molosses, à son
frère Alexandre, roi des Macédoniens, salut !
Mon frère adoré, plus d’une année
s’est écoulée depuis la dernière fois que je t’ai embrassé, et il ne se passe
pas un jour sans que je pense à toi et regrette ton absence.
L’écho de tes exploits est parvenu
jusqu’à mon palais de Boutrotos, il me remplit de fierté, mais cette fierté ne
compense en rien ton absence.
Mon époux et ton beau-frère
Alexandre, roi des Molosses, s’apprête à partir pour l’Italie. Il a rassemblé
une grande armée de près de vingt mille hommes, des guerriers courageux, rompus
à la technique macédonienne, entraînés à l’école de notre père Philippe.
Il rêve de conquérir un grand empire
en Occident et de libérer les Grecs de la menace des barbares qui peuplent ces
terres : Carthaginois, Bruttiens et Lucaniens. Mais je resterai seule.
Notre mère est de plus en plus
étrange, irritable et lunatique, et je lui rends visite le moins possible.
D’après ce qu’on me dit, elle pense à toi jour et nuit, offre des sacrifices
aux dieux afin que la Fortune te soit favorable. Je ne peux que maudire la
guerre qui éloigne de moi les êtres que j’aime le plus au monde.
Prends soin de toi.
L’aventure occidentale allait donc
commencer. Un autre Alexandre, son image spéculaire ou presque, à qui il était
attaché par des liens étroits d’amitié et de sang, s’apprêtait à marcher en
direction des Colonnes d’Héraclès afin de conquérir les territoires qui
s’étendaient jusqu’au fleuve Océan. Un jour ils se retrouveraient, peut-être en
Grèce, ou en Egypte, en Italie… Et ce jour-là, le monde vivrait le début d’une
ère nouvelle.
Alexandre profita de cette halte
pour écouter la lecture du Journal d’Eumène, que celui-ci rédigeait
quotidiennement en rapportant les événements survenus, les distances couvertes,
les visites rendues et reçues, les procès-verbaux des réunions du haut
commandement, ainsi que la situation financière.
« Ce n’est pas mal, admit-il au
bout de quelques pages. Les passages descriptifs ont une certaine élégance
littéraire, tu pourrais les réélaborer pour composer une véritable histoire
Weitere Kostenlose Bücher