Le Roman d'Alexandre le Grand
architrave ornée d’une très belle scène
de chasse. Il eut l’impression de revoir le souverain mettre pied à terre dans
la cour de Miéza en pestant contre sa jambe boiteuse et en criant :
« Où est Alexandre ? »
Et il répéta tout bas :
« Où est Alexandre ? »
Puis il tourna le dos au grand
tombeau silencieux et s’éloigna.
Il se rendit dans une petite maison
qu’il possédait à la limite de la ville et y passa la journée suivante en
lisant et classant quelques notes. Le temps se gâtait, de nombreux nuages noirs
se concentraient sur les cimes du mont Bermion, déjà saupoudrées de neige. Une
fois la nuit tombée, il enfila un manteau, en rabattit le capuchon sur sa tête
et s’achemina dans les rues désormais désertes.
Il longea le théâtre qui avait vu
mourir le roi au sommet de sa gloire, dans la poussière et dans le sang, puis
s’engagea sur un sentier menant aux champs. Il cherchait une tombe solitaire.
Devant lui se dressait un groupe de
chênes séculaires, au milieu d’une clairière. Aristote se cacha parmi les
grands troncs rugueux, se confondant avec les ombres du soir. Non loin de là,
on pouvait distinguer un modeste tumulus surmonté d’une pierre brute. Le
philosophe attendit, immobile et pensif.
De temps à autre, il levait les yeux
vers le ciel noir et serrait contre lui les pans de son manteau afin de se
protéger contre le vent froid des montagnes qui avait commencé à souffler à la
tombée du soir.
Enfin, un léger bruit de pas, le
long du sentier, le tira de sa torpeur. Il aperçut la silhouette menue d’une
femme qui avançait rapidement, passait non loin de lui et s’arrêtait devant la
tombe.
Il la regarda s’agenouiller et
déposer un objet sur la sépulture, presser ses mains et sa tête contre la
pierre non taillée et la couvrir de son manteau, comme pour la réchauffer.
L’obscurité était à présent parsemée de petits cristaux de neige fondue.
Aristote ajusta encore une fois son
manteau, mais une rafale de vent glacial lui arracha une quinte de toux.
Aussitôt la femme se releva et se tourna vers le petit bois de chênes.
« Qui est là ?
demanda-t-elle d’une voix tremblante.
— Un homme en quête de vérité.
— Alors montre-toi »,
répliqua la femme.
Aristote quitta sa cachette et la
rejoignit. « Je suis Aristote de Stagire.
— Le grand sage, acquiesça-t-elle.
Qu’est-ce qui t’amène dans un lieu aussi triste ?
— Je te l’ai dit, je cherche la
vérité.
— Quelle vérité ?
— À propos de la mort du roi
Philippe. »
La femme, qui était en réalité une
jeune fille aux grands yeux sombres, baissa la tête et courba les épaules,
comme si un poids trop lourd pesait sur elle. « Je ne crois pas que je
puisse t’aider.
— Pourquoi viens-tu rendre
hommage à cette tombe, dans le noir ? C’est ici qu’est enseveli Pausanias,
l’assassin du roi.
— J’aimais cet homme, il m’avait
offert des cadeaux de noce et nous devions nous marier.
— Je l’ai entendu dire. Voilà
pourquoi je suis venu. Est-il vrai qu’il était l’amant du roi
Philippe ? »
La jeune fille secoua la tête.
« Je… je l’ignore. On murmure que lorsque Philippe épousa la jeune
Eurydice, Pausanias lui fit une scène de jalousie qui rendit fou de rage le
père de la mariée, le noble Attale. »
Aristote ne cessait de scruter le
visage de son interlocutrice, et tandis qu’il évoquait cette ignoble histoire,
il crut voir des larmes briller sur ses joues creuses. « D’après les mêmes
rumeurs, Attale l’invita dans sa résidence de chasse, où il l’abandonna toute
la nuit à la violence de ses gardes-chasse. »
La jeune fille sanglotait à présent,
sans pouvoir se contenir, ce qui ne parvint pas pour autant à émouvoir le
philosophe, qui poursuivit : « Pausanias demanda à Philippe de le
venger de cette humiliation. Mais le roi refusa et Pausanias le tua. Est-ce
vraiment ce qui s’est produit ?
— Oui, admit-elle en
sanglotant.
— C’est là l’entière
vérité ? »
La jeune fille s’abstint de
répondre.
« Je sais que l’épisode de la
chasse d’Attale est vrai, reprit Aristote. J’ai mes informateurs. Mais quelle
en fut la cause ? N’était-ce simplement qu’une trouble histoire d’amours
masculines ? »
Son interlocutrice feignit de
partir, comme si elle voulait mettre fin à cette conversation. Le châle qui
recouvrait sa tête était déjà blanc de neige, et
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