Le Roman d'Alexandre le Grand
continuons à cette allure, nous y serons demain. »
Ils poursuivirent leur route
jusqu’au soir puis campèrent au creux d’une légère dépression du terrain.
Étéocle essaya de rester éveillé autant qu’il le put afin de surveiller son
compagnon de voyage, mais, vaincu par la fatigue, il s’enfonça bientôt dans un
profond sommeil. Alors l’homme se leva, il rebroussa chemin jusqu’à ce qu’il
aperçoive dans le noir la silhouette d’un cheval près d’un homme couché. Tout
se déroulait comme prévu ; il retourna auprès de l’adolescent et se coucha
à son tour, somnolant de temps à autre, l’oreille toujours tendue vers les
bruits de la nuit.
Quand le jeune homme se réveilla à
l’aube, son compagnon avait posé sur son manteau une poignée de dattes, du pain
sec et un verre de buis rempli d’eau. L’eau s’était rafraîchie dans son outre
pendant la nuit, et il était agréable de la boire. Ils mangèrent en silence
puis reprirent leur route. Ils chevauchèrent toute la matinée sous un soleil
brûlant, dans l’air inerte et stagnant. Vers midi, ils constatèrent que leurs
montures étaient, elles aussi, épuisées, et ils continuèrent à pied en les
tenant par les rênes.
Ils atteignirent l’Euphrate en
pleine nuit, et ils entendirent d’abord le murmure de ses eaux avant de
distinguer le scintillement de son courant majestueux sous la lune. Il y avait
un endroit où l’eau bouillonnait contre le gravier du fond en créant un ruban
d’écume entre les deux rives. C’était un gué. Le guerrier s’approcha, avança
vers le centre du fleuve en vérifiant la stabilité du fond, puis il rebroussa
chemin.
« On peut passer par là, dit-il
à Étéocle. Si tu le veux, tu peux traverser.
— Pourquoi parles-tu ainsi ?
lui demanda le garçon. Tu ne viens pas ? »
Le guerrier secoua la tête.
« Non. Ma mission est terminée, et je dois repartir.
— Ta mission ?
l’interrogea le garçon, de plus en plus étonné.
— Oui. Alexandre nous a ordonné
de t’escorter jusqu’à la frontière afin qu’il ne t’arrive aucun malheur. Un
autre compagnon nous suit à distance. »
Humilié par cette odieuse attention,
Étéocle baissa la tête, puis il répliqua : « Retourne donc auprès de
ton maître et dis-lui que cela ne m’empêchera pas de le tuer, si je le
rencontre sur le champ de bataille. » Et il poussa son cheval dans le
courant.
Droit sur sa monture, le guerrier
continua de surveiller l’adolescent jusqu’à ce qu’il le voie se traîner sur la
rive opposée et s’enfoncer dans la plaine en territoire perse. Alors il fit
demi-tour et se dirigea vers son compagnon qui l’attendait probablement non
loin de là. La lumière de la lune était de plus en plus forte ; en se
reflétant sur la couleur crayeuse du désert, elle permettait de s’orienter
facilement. Mais son compagnon ne se montrait pas. Le lendemain, il ne le
trouva pas davantage, malgré la lumière du soleil, tout comme le jour suivant.
Le désert l’avait englouti.
5
« Ton fils Étéocle a franchi sain et sauf la frontière de l’empire
perse, dit Alexandre en pénétrant dans la chambre de Barsine, mais un des
hommes que j’avais chargés de le suivre et de le protéger n’est pas revenu.
— Je suis désolée, répondit
Barsine. Je sais combien tu tiens à tes soldats.
— Ce sont des enfants pour moi.
Mais je n’ai pas hésité à payer ainsi le prix de ta sérénité. Et comment le
benjamin se porte-t-il ?
— Il me soutient, il m’aime, il
me comprend peut-être. Et puis, les adolescents sont naturellement
protégés : ils oublient vite et plus facilement que nous.
— Et toi ? Comment te
sens-tu ?
— Je te suis très
reconnaissante de ce que tu as fait, mais ma vie a irrémédiablement changé. Il
est possible qu’une mère soit incapable d’être une vraie maîtresse : son
cœur est occupé en partie par d’autres sentiments.
— Veux-tu dire ainsi que tu ne
souhaites plus me voir ? »
Barsine baissa la tête d’un air
perdu. « Ne me fais pas souffrir, tu sais bien que je désire te voir
chaque jour, à chaque instant, que ton éloignement et ta froideur me blessent.
Je t’en prie, accorde-moi un peu de temps pour que je puisse me ressaisir et
construire dans mon cœur un abri pour mes souvenirs… je saurai ensuite t’aimer
ainsi que tu le souhaites. »
Elle se leva et s’approcha de lui en
l’attirant par ses charmes, sa beauté
Weitere Kostenlose Bücher