Le Roman d'Alexandre le Grand
s’étendait sur la plaine, au loin. Comme l’ennemi se rapprochait, on ne
tarda pas à voir des éclairs çà et là et à distinguer les lances et les rangs
[…] [6] .
La bataille de Cunaxa, l’immense
armée du Grand Roi qui surgit comme un fantôme de la poussière du désert… Et
pourtant, là encore, les Grecs l’emportèrent, et s’ils avaient immédiatement
chargé au centre au lieu d’attaquer de front l’aile gauche de l’ennemi, ils
auraient tué le souverain perse et conquis son empire. Organise les jeux
gymniques et les équipements destinés au théâtre, mon ami. »
Eumène secoua une nouvelle fois la
tête, et s’apprêta à sortir.
« Encore une chose, dit le roi
en l’arrêtant sur le seuil. Choisis des pièces qui mettent en valeur la voix et
l’allure de Thessalos. L’Oedipe roi, par exemple puis…
— Ne t’inquiète pas, le rassura
le secrétaire. Tu n’ignores pas que je sais me débrouiller pour ces choses-là.
— Eumène ?
— Oui.
— Comment se porte le
général ?
— Parménion ? Il est
probablement bouleversé, mais il ne le montre pas.
— Penses-tu qu’il sera à la
hauteur de la tâche quand le moment viendra ?
— Oui, je le crois, répondit
Eumène. Il existe peu d’hommes comme lui. »
Et il sortit.
Alexandre célébra avec une grande
solennité l’ouverture des jeux gymniques et des représentations théâtrales,
puis il invita ses amis et les officiers supérieurs à un banquet. Personne ne
manqua à l’appel, à l’exception de Parménion qui envoya au roi un mot d’excuse
par l’intermédiaire d’un domestique :
Parménion au roi Alexandre,
salut !
Veuille m’excuser de ne pas
participer à ton banquet. Je ne me sens pas bien et je ne serais pas en mesure
de faire honneur à ta table.
Les convives comprirent bien vite
qu’Alexandre souhaitait consacrer ce repas à la conversation, car il n’y avait
ni danseuses ni « compagnes » expertes dans les jeux de l’amour. Le
souverain préparait lui-même la boisson en mélangeant dans un cratère du vin
coupé de quatre parts d’eau, en qualité de chef du symposion ». À
l’évidence, il voulait écarter tout propos guerrier pour discuter de sujets
philosophiques et littéraires, car Barsine et Thessalos étaient assis à ses
côtés. Venaient ensuite Callisthène et deux philosophes sophistes faisaient
partie de la délégation athénienne. Puis Héphestion, Eumène, Séleucos et
Ptolémée avec leurs partenaires plus ou moins occasionnelles. Les autres
compagnons étaient placés à l’autre bout de la salle.
On avait beau être en plein été, le
temps se gâtait et des nuages noirs, lourds de pluie, se pressaient au-dessus
de la vieille ville. Soudain, tandis que les cuisiniers servaient les premières
portions d’agneau rôti et de fèves fraîches, un grand coup de tonnerre éclata.
Les murs de la demeure vibrèrent et la surface du vin se rida dans les coupes.
Tous les invités se dévisagèrent en
silence. Le tonnerre s’éloignait vers le mont Liban, sur les flancs duquel il
se briserait sans doute. Les cuisiniers reprirent leur tâche. Callisthène, les
lèvres étirées en un sourire qui hésitait entre l’ironie et la plaisanterie,
demanda à Alexandre : « Puisque tu es le fils de Zeus, serais-tu
capable d’en faire autant ? »
Le roi baissa la tête un moment, et
nombre de convives pensèrent que sa colère allait se déchaîner une nouvelle
fois.
Callisthène lui-même semblait
regretter cette réflexion spirituelle. Remarquant qu’il avait blêmi, Séleucos
murmura à l’oreille de Ptolémée : « Cette fois, il en a pissé de
trouille. » Mais Alexandre releva la tête. Souriant et nullement troublé,
il répondit : « Non, je m’en garderai bien, je ne veux pas que mes
invités meurent de peur. »
Tout le monde éclata de rire. La
menace s’était éloignée.
4
Étéocle fit route pendant plusieurs jours, ne dormant que quelques
heures près de son cheval, effrayé par le cri des animaux nocturnes et le
hurlement des chacals, craignant de perdre son chemin ou d’être agressé et
volé, privé de sa monture et de ses provisions, ou capturé par des brigands
pour être vendu comme esclave dans des lieux lointains où personne ne pourrait
jamais le retrouver et le racheter. Tout au long de sa courte vie, il n’avait
jamais eu à affronter dans la solitude autant d’angoisses et de dangers, mais il
était réconforté
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