Le Roman d'Alexandre le Grand
avis.
— Disons plutôt qu’il est du
tien.
— Si tu préfères.
— Bien. Sauf que la déesse
Fortune s’est tournée de notre côté : à l’évidence, elle a un faible pour
toi, mon roi. Tu ne le croiras peut-être pas, mais c’est Héphestion lui-même
qui a servi de contact à Mazéos. Celui-ci lui a remis une statuette en le
priant de me l’offrir de sa part. Je l’ai reçue entre Tyr et Damas, où
j’expédiais certaines affaires. Les caractères barbares que j’ai pu lire sur sa
base disaient : « Brise cette statuette. » Et c’est ce que je me
suis empressé de faire. À l’intérieur, j’ai trouvé le message de Mazéos dont je
t’ai livré le contenu par le biais d’un courrier qui t’a rejoint au moment où
tu arrivais en vue du gué du Tigre avec ton armée. Mais j’ai voulu venir
moi-même afin de vérifier que le message t’avait été fidèlement rapporté.
— Oui. J’ai vu ta grive à la
broche.
— Remarquable, n’est-ce
pas ? Mes serviteurs en avaient capturé quelques-unes ce matin au moyen de
leurs filets, et c’est ainsi que j’ai eu l’idée de te faire passer mon mot
d’ordre d’une façon originale.
— Tu y es parvenu.
— Alors, quels sont les termes
exacts du message que t’a délivré mon courrier ?
— Mazéos m’offre son aide sur
le champ de bataille, en échange de quoi il me prie de le reconfirmer dans sa
charge de satrape de Babylonie. Il dit qu’il sera posté sur l’aile droite de
l’armée de Darius, et que je pourrai ainsi alléger sans danger ma gauche pour
concentrer mes forces de l’autre côté, où je risque d’être débordé. Ai-je bien
compris ?
— Parfaitement. C’est une
proposition honnête, ne crois-tu pas ?
— Aurais-tu confiance en un
déserteur ?
— Oui, si la proposition est
avantageuse pour les deux parties, et elle me paraît l’être. Mazéos croit que
Darius ne pourra pas te battre. Il est persuadé que tu l’emporteras et il
t’offre donc un avantage en échange d’un autre.
— Et s’il mentait ? Je
dégarnirais mon flanc gauche pour renforcer mon aile droite en prévision d’un
débordement de la cavalerie perse à cet endroit. Et Mazéos enfoncerait ma
gauche, me prendrait à revers au moment où je m’apprête à lancer l’attaque de
la Pointe. Un désastre. Disons même la fin.
— C’est vrai, mais refuser de
courir ce risque en repoussant la promesse de Mazéos ne balaiera pas tout
risque de défaite, leur armée est plus importante que la tienne, et tu as
accepté de combattre sur un champ de bataille qu’ils ont eux-mêmes choisi. Un
beau dilemme.
— Et pourtant, je ne vais pas
tarder à regagner ma tente, où je dormirai sereinement. »
Eumolpos scruta les traits de son
interlocuteur à la lumière incertaine de la lune, mais il ne parvint pas à y
lire ses intentions. « Que dois-je dire à Mazéos, cette nuit ?
demanda-t-il. Comme tu le vois, je me suis déguisé en marchand syrien, et je
vais bientôt le retrouver pour lui donner une réponse. »
Alexandre saisit les rênes de son
bai, et l’enfourcha. « Dis-lui que j’accepte, répliqua-t-il en talonnant
sa monture.
— Attends ! l’arrêta
Eumolpos, tu seras peut-être intéressé par une autre nouvelle : le fils de
Barsine se trouve au campement de Darius, et il a l’intention de prendre part à
la bataille de demain. »
Alexandre se figea un moment, comme
paralysé par cette nouvelle, puis il sursauta et éperonna l’étalon,
disparaissant dans un nuage de poussière. Eumolpos secoua la tête et, après
avoir réfléchi à ce court entretien, fit agenouiller son chameau récalcitrant
et grimpa non sans efforts sur son bât. Il bascula vers l’avant tandis que
l’animal levait son postérieur et faillit tomber à la renverse quand celui-ci
déplia ses pattes antérieures. Enfin, il le talonna maladroitement, le poussant
au trot en direction du camp perse.
Bientôt, Alexandre vit un
détachement d’hétairoï de la garde royale, conduit par Héphestion, se
précipiter vers lui. Il s’arrêta. « Où allez-vous ? dit-il.
— Où allons-nous ? s’écria
Héphestion hors de lui. Et tu as besoin de le demander ? Nous venons te
chercher ! Tu quittes le camp sans rien dire à personne, et tu te promènes
en pleine nuit dans un territoire infesté de patrouilles ennemies, la veille
d’une bataille qui décidera de notre sort. Heureusement, une sentinelle t’a vu
et a fait son
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