Le Roman d'Alexandre le Grand
de Darius a été
anéantie par leurs forces, on ignore leur nombre exact, le lieu où ils se
trouvent, et l’étendue de leur territoire. Ce serait comme si l’on s’enfonçait
dans… le néant.
— C’est possible, répliqua
Alexandre d’une voix calme. De toute façon, c’est bien ce que j’entends
découvrir.
— Moi aussi », dit
Héphestion.
Cratère en resta là. Il s’attaqua à
contrecœur au rôti de mouton qu’on lui avait servi.
Tandis que les Perses bavardaient
tout bas entre eux, entamant le silence des autres invités, Cleitos reprit la
parole : « Et comment comptes-tu remplacer les trois magnifiques
bataillons de la cavalerie thessalienne ?
— Par deux mille cavaliers
perses qui ont suivi l’entraînement des Macédoniens, répondit le roi d’une voix
ferme en plantant son regard dans le sien. Ils seront bientôt là. Je les ai
appelés les Successeurs. »
À ces mots, les yeux du Noir se
remplirent de colère : il se leva et dit : « Alors tu n’as plus
besoin de nous, me semble-t-il ». Puis il se drapa dans son manteau et se
dirigea vers la porte.
« Arrête-toi, le Noir !
Arrête-toi ! Ne me provoque pas, le Noir ! », s’écria le roi.
Mais Cleitos s’en alla en lui
tournant le dos. D’autres invités l’imitèrent : le commandant des
Thessaliens, les chefs de bataillon Méléagre et Polysperchon, ainsi que tous
les officiers qui commandaient la cavalerie des hétairoï.
« Vous voulez partir, vous
aussi ? », demanda Alexandre à ses amis.
Séleucos, qui était le plus froid et
le plus calme de tous, le plus cynique en apparence, répondit : « Ne
te fâche pas. Il n’est rien arrivé d’inquiétant. Nous sommes là, et nous avons
juré de te suivre jusqu’au bout du monde. Les autres peuvent faire ce que bon
leur semble, nous n’avons pas besoin d’eux.
— Exact, l’approuva Léonnatos
en abandonnant son air perplexe. Et puis, ces Scythes sont comme nous, faits de
chair et d’os… je les ai vus, vous savez ? On les paie, à Athènes, pour
faire régner l’ordre public. Ils se promènent avec des gourdins et des arcs,
ils ne m’ont pas paru si terribles que ça. »
Ptolémée s’approcha et l’ébouriffa
d’un geste rude. « Bravo Léonnatos, tu as raison. Mais n’oublie pas qu’ils
sont d’une autre étoffe. Cratère a dit la vérité : ils ont fait mordre la
poussière à Cyrus le Grand et fait ployer Darius Ier . Des
armées entières ont pénétré sur leurs territoires immenses, où elles ont
disparu sans laisser de traces. »
44
Au moment des adieux, Alexandre couvrit les Thessaliens de présents et
leur attribua, comme aux autres vétérans, un salaire destiné à couvrir les
dépenses du voyage de retour. Ces attentions adoucirent le ressentiment qu’ils
éprouvaient à son égard. Elles suscitèrent même de l’émotion chez bon nombre
d’entre eux. Un vétéran qui avait participé à toutes les batailles, du Granique
à Artacoana, lui dit simplement : « J’ai appris que tu aligneras des
barbares aux côtés de tes troupes et que tu les admettras parmi les officiers
de ton haut commandement. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un bon choix, et
pourtant chaque fois que nous avons grommelé et récriminé face à certaines de
tes décisions, qui nous semblaient folles ou insensées, la suite des événements
nous a toujours montré que tu avais raison.
« Nous avons envie de serrer
nos familles dans nos bras, de revoir nos villes et nos villages, et l’idée de
poursuivre les Scythes dans une prairie sans fin où il ne pousse ni un pied
d’olivier ni une vigne, et ne se dresse pas une seule maison en cent jours de
marche, ne nous disait franchement rien. Pourtant, et je parle ici au nom de
tous mes camarades, nous regrettons de te quitter, sire. Nous perdrons le
sommeil en t’imaginant dans cette lande déserte, entouré de barbares, mais
rien, je le crains, ne peut changer ton destin. Combattre à tes côtés a
constitué pour nous une expérience magnifique. Prends soin de toi,
Alexandre. »
Le roi les passa en revue, monté sur
Bucéphale. Il sourit ou lança un salut à chacun d’entre eux, il serra la main
de ceux qu’il reconnut, ou dont il se rappela les prouesses sur le champ de
bataille. Et il pleura vraiment en les voyant se mettre en route en rangées de
huit tandis que le soleil incendiait l’horizon.
Le lendemain, les premières
avant-gardes des cavaliers perses
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