Le Roman d'Alexandre le Grand
chameaux gigantesques et poilus, à deux bosses, qu’on
appelait « chameaux de Bactriane ». Ils emplissaient l’air d’étranges
mugissements.
« Ils vont à Smyrne, expliqua
Oxathrès en riant. Voulez-vous vous joindre à eux ? »
Ptolémée secoua la tête et lui fit
signe de continuer. Ses yeux étaient brûlants de fatigue, son corps couvert
d’ampoules, mais il aurait préféré mourir plutôt que de réclamer une pause. En
revanche, un certain nombre de ses soldats s’étaient arrêtés, ou s’étaient tout
simplement écroulés, vaincus par la fatigue. Il les abandonna en pensant qu’il
les récupérerait au retour.
Bientôt la chaleur devint
insupportable. Des nuées de mouches, surgies d’on ne savait où, s’agglutinaient
sur les yeux des hommes, impatientes d’en sucer les humeurs, et des centaines
de taons tourmentaient les chevaux, qui ruaient ou hennissaient de douleur.
Comme le nota Ptolémée, les montures des Perses n’en souffraient pas car elles
avaient le poil épais et hirsute, ainsi que de longues queues au moyen
desquelles elles réussissaient à chasser les parasites quel que soit l’endroit
où ils se fixaient. Il se dit qu’Alexandre ne s’était pas trompé sur les
capacités des barbares, leur connaissance du territoire et des gens qui le
peuplaient.
La voix d’Oxathrès l’arracha à ses
pensées : « Voici la ville » criait-il en indiquant un mur de
briques crues qui entourait des maisons basses et grises. Une seule habitation
les dépassait en hauteur et en importance, c’était sans doute la résidence de
leur chef. D’un signe, Ptolémée ordonna à la cavalerie de se déployer. Elle
décrivit alors un arc de cercle enfermant la ville dans une sorte d’anneau qui
interdisait à quiconque d’y entrer ou d’en sortir. Oxathrès parlementa un
moment avec le chef ennemi, puis il revint vers Ptolémée. « Ils sont très
surpris de nous voir et ils ont perdu courage. Deux satrapes livreront Bessos
si nous leur accordons la liberté.
— De qui s’agit-il ?
— De Spitaménès et de
Dataphernès.
— Et où se trouvent-ils ?
— Dans la ville. En compagnie
de Bessos. »
Ptolémée réfléchit un instant tandis
que les troupeaux, de retour de leurs pâturages, s’amassaient en poussant des
bêlements assourdissants à l’extérieur du cercle de cavaliers. Il finit par
dire : « Acceptons. Demande-leur où ils nous le livreront. Nous
laisserons le gros de nos troupes ici pour éviter les surprises, puis nous nous
rendrons au lieu de notre rendez-vous. »
Oxathrès retourna sur ses pas et
s’entretint à nouveau avec ses interlocuteurs. Il avertit bientôt Ptolémée que
la transaction était conclue, et celui-ci laissa alors passer les troupeaux qui
se ruèrent dans la ville avec leurs bergers. Une foule se pressa bientôt sur
les remparts : hommes et femmes, vieillards et enfants voulaient voir ces
daiwa couverts de métal, coiffés de casques à crête, et montés sur d’énormes
chevaux au poil luisant. Ils pointaient leurs doigts vers eux puis vers les
montagnes, qui se teignaient de rouge au soleil couchant, pour indiquer qu’ils
en étaient descendus comme des rapaces.
Oxathrès rapporta à Ptolémée les
termes de l’accord : Bessos leur serait livré à trois stades de là, au
crépuscule, par un groupe de cavaliers sogdiens, tandis que Spitaménès et
Dataphernès s’enfuiraient par la porte orientale, qui devrait demeurer libre.
« Cela me convient »,
répondit Ptolémée en songeant qu’il avait reçu l’ordre de capturer Bessos et
non de prendre également les deux autres satrapes. Il permit ensuite à ses
hommes de mettre pied à terre pour se restaurer et pour boire, et leur ordonna
de libérer la porte orientale à la tombée de la nuit.
« Qui peut me garantir qu’ils
respecteront le pacte ? demanda Ptolémée d’un air inquiet alors qu’ils
rejoignaient le lieu du rendez-vous.
— J’ai laissé quelques hommes à
moi devant la porte orientale. Ils connaissent Bessos, et ils ne le laisseront
pas filer s’il s’y essaie. »
Apercevant un acacia mort au bord du
sentier, il dit à Ptolémée : « C’est là qu’ils viendront. Nous
n’avons plus qu’à attendre. »
Le silence semblait engloutir la
plaine bientôt plongée dans l’obscurité, mais il fut bientôt brisé par le chant
des grillons, auquel se joignirent les cris des chacals, qui paraissaient
surgir du néant puis y retourner.
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