Le Roman d'Alexandre le Grand
Ils sont très dangereux : dissimulés dans les sables
comme des scorpions, ils surgissent brusquement pour donner l’assaut.
— Passez le mot », ordonna
Alexandre, qui continua d’avancer, le regard rivé sur le sud.
Ils s’étaient, en effet, éloignés de
la côte pour suivre la piste et l’Océan était désormais invisible.
Au quatrième jour de marche, l’armée
atteignit les confins du désert, et les hommes contemplèrent avec effroi
l’étendue de sable incandescent qui s’étirait devant eux, un enfer privé
d’herbe et d’abris, que les rayons implacables du soleil chauffaient à blanc en
toutes saisons.
Les guides indiens rebroussèrent chemin
et Alexandre dut poursuivre sa route avec, pour tout soutien, l’expérience d’un
certain nombre d’officiers perses qui avaient participé à des expéditions en
Drangiane et en Arachosie au temps du roi Darius.
Dans ces conditions, la marche se
révéla bien vite très difficile, voire désespérée. Les officiers
réquisitionnèrent les réserves d’eau et les maintinrent sous surveillance de
manière à pouvoir en contrôler la consommation, mais cette mesure n’eut pas
grande utilité : les provisions furent épuisées en peu de temps, et il fut
nécessaire de chercher des puits le long de la piste poussiéreuse et
ensoleillée. Les réserves de nourriture, en revanche, durèrent plus longtemps,
d’autant plus que le projet de ravitaillement de la flotte apparut bientôt irréalisable,
puisqu’on avait perdu de vue les navires. Le vent d’est, très fort, les avait
sans doute poussés plus loin.
Apercevant des traces près de la
piste, les guides scythes avertirent leurs officiers et le roi. Une attaque
restait à craindre : sur une terre si misérable, l’armée ennemie
constituait une proie idéale, compte tenu du ravitaillement qu’elle
transportait, ainsi que du grand nombre de chevaux et de bêtes de somme qui la
suivaient.
« Doublez le nombre des
sentinelles, ordonna Alexandre, et gardez les feux allumés si vous le
pouvez. » Mais il était difficile de trouver du bois, il n’y avait que
quelques troncs abandonnés par le ressac sur le rivage.
Les Orites attaquèrent subitement
par une nuit sans lune, et se jetèrent sur le contingent de Léonnatos qui
avançait à quelques stades de l’armée, à l’arrière-garde. Ils frappèrent par
surprise avec une précision meurtrière, surgissant des fentes des rochers,
bondissant comme des furies infernales sur des guerriers épuisés par la soif et
les efforts. Ils firent un massacre. Léonnatos se battit avec un courage
désespéré, et après que son trompette eut été égorgé par un ennemi surgi des
sables, il ramassa lui-même l’instrument et lança de longs appels pour prévenir
Alexandre.
Le roi se précipita à son secours à
la tête de deux escadrons. Il parvint à briser l’encerclement et à libérer son
ami, à bout de forces et blessé, submergé par une nuée d’adversaires. Lorsque
le soleil se leva, plus de cinq cents soldats gisaient sur le sol, inanimés,
souvent agrippés à leurs agresseurs dans le dernier spasme de l’agonie.
On les enterra dans le sable avec
leurs armes car il n’y avait pas de bois pour construire des bûchers
funéraires. Puis l’on repartit, le cœur opprimé par la tristesse, sachant que
ces sépultures hâtives seraient bien vite violées par des sauvages faméliques.
Un jour, un escadron d’éclaireurs
revint d’une mission de reconnaissance en annonçant qu’il avait découvert un
groupement de villages non loin de la côte, près de l’embouchure d’un misérable
ruisseau traînant son maigre filet d’eau jusqu’à la mer. Ils décidèrent de les
attaquer dès la nuit tombée – une nuit de pleine lune qui éclairait a giorno le
désert d’une blancheur crayeuse.
Léonnatos accrocha sa hache à son
étrier, se munit d’un bouclier de bronze qui pesait seize mines et sauta sur
son étalon. Mais Alexandre le retint : « Ta blessure est récente.
Reste là. Laisse-nous nous en charger.
— Tu ne m’empêcheras pas d’y
aller, même si tu me fais attacher, se récria son ami. Ces gens-là vont payer
pour les soldats qu’ils ont assassinés, pour ces hommes qu’ils ont égorgés par
surprise dans le noir sans qu’ils puissent se défendre. »
Le roi, ses compagnons et leur
escadre – deux cents hommes en tout – avaient choisi des chevaux noirs et
enfilé des manteaux de la même couleur pour
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