Le Roman d'Alexandre le Grand
se confondre avec les ombres de la
nuit. Alexandre donna le signal, et les montures se lancèrent dans un galop
effréné, flanc contre flanc, tête contre tête : on aurait dit des furies
infernales dont l’Hadès avait accouché.
Dès que les Orites les aperçurent,
ils tentèrent de défendre leurs villages, leurs enfants et leurs femmes, mais
il était déjà trop tard. Ils furent balayés immédiatement, embrochés comme des
poissons, et tandis que ses hommes saccageaient les habitations, Léonnatos
s’acharna à coups de masse sur les ennemis en fuite, les fauchant comme des
épis, les massacrant par dizaines jusqu’à ce que son cœur soit sur le point
d’éclater et que la voix d’Alexandre résonne à ses oreilles : « Ça
suffit Léonnatos ! »
Alors il s’arrêta, écumant de sueur
et couvert de sang.
Une seconde escadre de cavalerie
légère survint un peu plus tard, amenant des bêtes de somme avec des outres et
des chariots pour réquisitionner les vivres. Mais on ne trouva que des
troupeaux de moutons et de chèvres, enfermés dans des enclos en pierre.
L’épaisse couche d’excréments secs qui jonchait le sol montrait qu’on les
conduisait rarement au pâturage.
« Je me demande avec quoi ils
les nourrissent, dit Eumène qui était arrivé avec le convoi du ravitaillement.
— Avec ça, semble-t-il,
répondit Séleucos en indiquant des sacs de fibres d’algues qui contenaient une
sorte de poudre blanchâtre.
— Du poisson, confirma Eumène
en reniflant une poignée de cet aliment. Du poisson séché et moulu. »
Ils retournèrent au campement avec
l’eau qu’ils purent recueillir et avec les troupeaux réquisitionnés ; mais
la chair de ces animaux avait un goût repoussant, qui évoquait le poisson
pourri. N’ayant pas le choix, ils durent se nourrir de ce qu’ils avaient pris.
Ils poursuivirent leur route pendant
plusieurs jours sous un soleil brûlant, tourmentés par la soif. Parfois, le
désert changeait de couleur, devenant d’une blancheur aveuglante, et l’armée
était obligée de marcher sur une croûte de sel déposée par de vieilles lagunes
marines qui entamait les sabots des chevaux et les chaussures des fantassins,
provoquant de profondes gerçures puis des plaies fort douloureuses. De
nombreuses bêtes de somme et de nombreux chevaux moururent de soif et de faim,
puis ce fut le tour des hommes.
Personne n’avait le temps ni la
force de les enterrer ou de leur rendre les honneurs. Les soldats remarquaient
à peine qu’un des leurs tombait d’épuisement. S’ils s’en apercevaient, ils ne
parvenaient pas à l’aider, et le corps du malheureux gisait à l’abandon, en
proie aux chacals ou aux vautours qui ne cessaient de tournoyer au-dessus de la
colonne en marche. À la douleur que ces disparitions suscitaient dans le cœur
d’Alexandre s’ajoutaient les regrets de voir sa jeune épouse subir autant
d’inconfort et de privations, ainsi que l’angoisse pour le sort de sa flotte,
dont il n’avait plus de nouvelles depuis le jour de son départ de Pattala.
Dans cette terrible épreuve, dans
ces épouvantables difficultés, seul Calanos paraissait indifférent à la douleur
et aux souffrances : il marchait pieds nus sur le sable brûlant, se
couvrant tout juste les épaules d’un morceau d’étoffe ; le soir, quand les
ténèbres apportaient un peu de fraîcheur au désert, il s’asseyait auprès du roi
et conversait avec lui, lui parlait de sa philosophie, de l’art de contrôler
ses passions et les besoins de son corps. En dépit de son jeune âge, Roxane se
comporta elle aussi d’une façon irréprochable, avec une fierté et un courage
exemplaires. On la vit à plusieurs reprises chevaucher aux côtés de son époux,
vêtue de la tunique des cavaliers sogdiens, et bander son arc pour abattre des
oiseaux de passage.
Un jour, alors que les hommes
étaient à bout de forces, un soldat de la garde découvrit, comme par miracle,
une cavité au fond d’une cuvette, où semblait se concentrer un peu d’humidité.
Il se mit à creuser de la pointe de son épée et vit bientôt des gouttes d’eau
sourdre lentement à la surface. Il parvint à en remplir le fond de son casque,
qu’il tendit à Alexandre après s’être mouillé les lèvres. Le roi était, en
effet, durement éprouvé par ces efforts, d’autant plus que sa blessure le
faisait encore souffrir.
Alexandre le remercia et prit le
casque pour le porter à ses lèvres. Mais
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