Le Roman d'Alexandre le Grand
leurs
âmes trouvent la paix dans l’Hadès, et remercia les dieux, au fond de lui-même
parce que aucun de ses amis n’avait péri dans le désastre et qu’il avait pu les
serrer de nouveau contre sa poitrine. Il prononça ensuite un éloge de Néarque
et d’Onésicrite, grâce au courage et à l’expérience de qui le désastre ne
s’était pas transformé en catastrophe.
L’armée demeura sur la rive pendant
vingt jours pour permettre aux disparus qui n’étaient pas morts de rejoindre
leurs compagnons et procéder à la réparation des coques endommagées.
On découvrit non loin de là des
lieux relativement protégés entourés de campagnes fertiles situées à la
frontière du territoire désertique où vivaient les tribus sauvages des Orites.
Alexandre y fonda une ville où il implanta ceux que leurs conditions physiques
rendaient incapables d’entreprendre la traversée du désert de Gédrosie. Il
construisit un quai ainsi qu’un port bien protégé, et consacra un espace
destiné à recevoir les temples des dieux. Puis, une fois ces devoirs accomplis,
il fixa le jour du départ pour la flotte et l’armée.
Néarque l’attendait sur le quai tout
juste achevé. Alexandre le serra affectueusement contre sa poitrine, comme il
l’avait fait avec Cratère au moment où ils s’étaient séparés.
« Quelle joie cela aurait été
si ce fleuve avait constitué le cours supérieur du Nil, comme certains le
prétendaient ! Nous aurions voyagé ensemble jusqu’en Égypte.
— Hélas, il n’en est pas ainsi,
répondit Néarque. Les hommes à la peau sombre et les crocodiles ne suffisent
pas à faire un Nil.
— En effet, admit le roi, mais
reste bien en vue de la côte et de l’armée. Et quand tu le pourras, mouille
l’ancre là où tu verras nos feux : tu auras ainsi moins de difficultés à
t’approvisionner en nourriture et en eau.
— Je n’y manquerai pas,
Alexandre, mais il faut à présent que je profite du vent constant qui souffle
vers l’ouest pour épargner les forces de mes marins. J’ignore donc si vous
parviendrez à suivre notre rythme. En tous les cas, nous nous reverrons à
Harmozeia. Mon vice-amiral Onésicrite aimerait avoir l’honneur de te saluer,
lui aussi. C’est un excellent marin, qui mérite ton estime et tes vœux. »
Onésicrite avança, et le roi lui
serra la main. « Que les dieux vous accompagnent et que Poséidon vous soit
favorable. Ce matin, j’ai fait un sacrifice à l’Océan en compagnie
d’Aristandre, nous avons invoqué sa clémence et la faveur des vents. Notre
armée a déjà payé un lourd tribut. »
Néarque et Onésicrite regagnèrent
leurs navires et ordonnèrent aux équipages de lever l’ancre. La flotte
s’éloigna à la force des rames, mais on hissa bientôt les voiles, que le vent
gonfla de son souffle impétueux. Rapidement, les navires rapetissèrent au point
de ressembler aux bateaux avec lesquels s’amusent les enfants. Alors Alexandre
s’enfonça de quelques pas dans l’Océan, où il planta une lance afin d’indiquer
qu’il s’était également emparé de cette région lointaine. Puis il se tourna
vers ses compagnons et s’écria : « Il est temps que nous partions,
nous aussi. Donnez le signal ! »
Héphestion, Léonnatos, Ptolémée,
Séleucos, Lysimaque et Perdiccas enfourchèrent leurs montures et prirent la
tête de leurs détachements respectifs. Le roi les imita, précédé de son
enseigne, et la longue colonne s’ébranla au milieu des sonneries de trompette,
des roulements de tambours, et des claquements de drapeaux.
59
L’étroite bande de broussailles qui bordait les rives de l’Indus se
transforma bien vite en une prairie semi-marécageuse, où broutaient de grands
buffles aux cornes recourbées, des cerfs et des antilopes. On vit même
apparaître au loin des petits groupes de lions, peu différents, quant à
l’aspect, de ceux que l’on chassait en Macédoine. Les arbres, immenses,
regorgeaient d’oiseaux de toutes sortes, dont de nombreux perroquets aux
couleurs vives. Puis la prairie humide se changea en une steppe ponctuée de
rares buissons, où paissaient des troupeaux de bœufs et de moutons que
surveillaient des bergers à l’aspect primitif et presque sauvage.
« Des Orites, expliqua le guide
indien. Ils appartiennent à une tribu côtière, mais nous rencontrerons un peu
plus loin les tribus de la steppe et du désert, qui rassemblent des hommes
féroces et sauvages.
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