Le Roman d'Alexandre le Grand
d’auxiliaires,
accompagnés par un guide perse et une demi-douzaine de chameaux chargés
d’outres d’eau.
Ils parcoururent deux étapes de cinq
parasanges sur un terrain complètement désert. Puis, vers midi, sous un soleil
brûlant, ils aperçurent quelque chose à l’horizon.
« Parviens-tu à distinguer ce
dont il s’agit ? demanda l’un des auxiliaires, un mercenaire palestinien
d’Azotos.
— On dirait des hommes,
répondit un de ses compagnons.
— Des hommes ? s’écria
l’un des officiers. Où ?
— Là-bas, dit l’autre officier,
qui les distinguait nettement désormais. Regarde, ils nous font signe, ils
crient… Ils semblent nous avoir vus. Vite, allons-y ! »
Ils se lancèrent au galop et se
retrouvèrent quelques instants plus tard, devant deux malheureux aux vêtements
en lambeaux, aux yeux caves, à la peau couverte de plaies et brûlée par le
soleil, aux lèvres fendues.
« Qui êtes-vous ?
demandèrent les deux hommes en grec.
— Et vous ? répliqua
l’officier. Que faites-vous ici ?
— Nous sommes des marins de la flotte
royale.
— Tu veux dire que la flotte de
Néarque est… »
L’officier n’osait pas finir sa
phrase car ses deux interlocuteurs avaient l’allure de naufragés.
« Saine et sauve, dit l’homme.
Mais par les dieux, donne-moi une gorgée d’eau si tu veux que je te raconte
toute l’histoire ! »
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« À cheval ! », s’exclama le roi, tout excité dès qu’il
connut la nouvelle. « Néarque est sur la côte avec tous ses navires. Il
n’en manque pas un ! Eumène, fais préparer les chariots : eau,
provisions, viande, gâteaux, miel, fruits et vin, par tous les dieux !
Tout le vin que tu trouveras. Et emboîte-moi le pas dès que tu le
pourras !
— Mais il faudra du temps pour
tout rassembler, hasarda le secrétaire général.
— Débrouille-toi ; tu as
jusqu’à ce soir. Je veux que ces hommes fassent la fête, par Zeus ! Nous
organiserons un banquet grandiose sur la plage ! Nous devons fêter nos
retrouvailles ! Oui, nous devons les fêter ! »
Ses yeux brillaient d’émotion et
d’impatience. On aurait dit un enfant.
« Et prenez soin de ces deux
marins : traitez-les comme des princes, comme des hôtes de marque. Et la
reine, je veux que la reine vienne avec moi. »
Il partit au galop avec ses
compagnons, suivi de deux escadrons de la cavalerie des hétairoï, et arriva en
vue du camp naval de Néarque au soir du troisième jour, couvert de poussière et
de sueur. Les navires se détachaient sur le miroir doré de l’Océan, parés de
leurs enseignes et de leurs étendards.
Néarque les accueillit à l’entrée du
camp. En le voyant, Alexandre mit pied à terre, et les deux hommes parcoururent
à pied la distance qui les séparait au milieu de deux rangées de marins et de
cavaliers en délire. Impatients de se retrouver, ils finirent par courir l’un
vers l’autre. Ils se donnèrent l’accolade puis se dévisagèrent d’un air
incrédule. Sous l’empire de l’émotion, ils étaient dans l’incapacité de
s’exprimer. Au bout de quelques instants, Alexandre éclata d’un rire
libératoire et s’écria : « Tu pues le poisson pourri, Néarque !
— Et toi, la sueur de cheval,
Alexandre ! répliqua l’amiral.
— Je n’arrive pas à croire que
vous soyez tous vivants, dit le roi en examinant le visage émacié de son
navarque.
— Ça n’a pas été facile,
rétorqua Néarque. J’ai bien cru que nous ne nous en sortirions pas. Nous avons
affronté deux tempêtes, mais surtout nous avons souffert de la faim et de la
soif. »
Ils s’acheminèrent vers le
campement. Ils étaient animés d’une telle curiosité et d’une telle envie de
connaître leurs aventures respectives qu’ils ne s’étaient pas aperçus que
Ptolémée avait rangé la cavalerie pour leur rendre hommage.
Ils sursautèrent donc en entendant
le commandant crier : « Pour le roi Alexandre et pour l’amiral
Néarque, alalalàï !
— Alalalàï ! »,
hurlèrent les cavaliers en brandissant leurs lances et en rythmant leurs cris
tandis que la dernière lueur du soleil s’éteignait au-dessus des ondes
enflammées de l’Océan.
« Permets-moi de souligner le
rôle qu’a joué Onésicrite, ajouta l’amiral en invitant son pilote à venir vers
eux. Il a montré qu’il était un grand marin.
— Salut, Onésicrite, fit
Alexandre. Je suis très content de te voir.
— Salut, roi,
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