Le Roman d'Alexandre le Grand
se présenta à Salmous avec son armée.
L’exultation d’Alexandre et de ses compagnons fut à son comble. On banqueta longuement,
et on continua de festoyer une fois que l’armée se fut remise en marche. En
effet, décidé à ne pas interrompre ces manifestations de liesse, le roi avait
fait construire des chariots, sur lesquels on installa des tables et des lits
de repas. Les compagnons purent donc s’allonger pour manger, boire et rire. Et
les soldats étanchèrent leur soif à leur guise en s’approvisionnant aux outres
de vin qui suivaient la colonne.
Sur l’un des chariots se trouvait
Calanos à qui le roi et ses compagnons rendaient parfois visite pour écouter
son enseignement.
Chants et chœurs de joie résonnaient
sur ce territoire. L’armée qui se dirigeait vers le cœur de la Perside n’avait
pas l’allure d’une formation militaire, mais bien d’un komos de Dionysos, une
procession en l’honneur du dieu qui libère le cœur humain de toutes ses peines
par la joie du vin et la gaieté.
Néarque était reparti avec sa flotte
après avoir procédé aux réparations nécessaires et rempli les cales du
ravitaillement indispensable à une longue traversée. Les navires franchirent le
détroit d’Harmozeia et pénétrèrent dans le golfe persique, en prenant la
direction de l’embouchure du Tigre. La flotte devait retrouver l’armée à Suse,
qu’elle atteindrait en empruntant un canal navigable. Persuadés que le plus
difficile était enfin passé, les marins ramaient vigoureusement, manœuvraient
avec entrain écoutes et voiles, impatients de conclure leur aventure et de
pouvoir la raconter.
Il y eut pourtant un moment de
tension à bord de la flotte quand on vit s’élever des flots, non loin du
vaisseau amiral, d’immenses jets de vapeur, précédant l’apparition de créatures
gigantesques aux dos luisants, qui plongèrent à nouveau en agitant hors de
l’eau leurs queues énormes.
« Mais qu’est-ce que
c’est ? demanda avec terreur le marin chypriote qui avait préparé le dîner
du roi et de ses compagnons sur la plage.
— Des baleines, répondit le
maître d’équipage phénicien, qui était allé au-delà des Colonnes d’Héraclès.
Elles ne nous feront rien : il faut se garder de les éperonner car il
suffit d’un coup de queue et… adieu, vaisseau amiral. Elles n’en feraient
qu’une seule bouchée !
— Je préfère les thons,
balbutia le marin avant de demander d’un air inquiet : Mais tu es sûr
qu’elles ne nous attaqueront pas ?
— On ne peut être sûr de rien
en mer, répliqua Néarque. Tu devrais le savoir. Retourne à ton poste,
marin. »
L’armée d’Alexandre poursuivit sa
marche le long de la route qui menait à Pasargades. Là, le roi constata que le
tombeau de Cyrus avait été violé : le sarcophage était ouvert et le corps
du Grand Roi jeté sur le sol. Il fit interroger et juger les mages chargés de
surveiller ce monument, mais ceux-ci ne lui apprirent rien, même sous la
torture. Il les libéra, puis il ordonna qu’on restaure la tombe et reprit sa
route en direction de Persépolis. La nouvelle du retour d’Alexandre s’était
déjà répandue, plongeant de nombreux satrapes et gouverneurs macédoniens dans
la consternation : croyant qu’il était mort, ils s’étaient abandonnés à
des pillages et à des vols de toutes sortes.
Alexandre retrouva le palais
impérial dans les conditions où il l’avait quitté après l’épouvantable incendie
qui l’avait détruit : seuls les colonnes de pierre et les gigantesques
portiques se dressaient dans l’immense étendue que la fumée avait noircie et
que les cendres avaient recouverte. Les collines voisines avaient également
livré des coulées de boue, qui s’étaient solidifiées sur le sol. Des voleurs
avaient arraché les pierres dures des bas-reliefs, et dérobé les métaux
précieux fondus dans l’incendie. Désormais, un seul signe rappelait la grandeur
des Achéménides : la flamme qui brûlait devant le monument funéraire de
Darius III.
Le roi songea à Stateira et se
demanda si la lettre qu’il lui avait envoyée des rives de l’Indus lui était
parvenue. Il lui écrivit une nouvelle fois en lui disant toute son affection et
en lui donnant rendez-vous à Suse.
Un soir qu’il se reposait aux côtés
de Roxane sous la véranda du palais du satrape, on lui annonça une visite. Un
domestique introduisit bientôt un homme corpulent et chauve, qui le
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