Le Roman d'Alexandre le Grand
contingents
d’hommes et des navires de guerre pour favoriser une entreprise qu’aucun Grec
n’est jamais parvenu à mener à bien.
— Et penses-tu qu’ils te
suivront ?
— Je n’en doute pas, répondit
Philippe. Je leur expliquerai que le but de cette expédition est de libérer les
villes grecques d’Asie de la domination des barbares. Ils ne pourront pas
reculer.
— Est-ce le véritable but de
cette expédition ?
— Nous possédons l’armée la
plus forte du monde, l’Asie est immense, et il n’y a pas de limites à la gloire
qu’un homme peut se gagner, mon fils », affirma le roi.
Quelques jours plus tard, un autre
invité se présenta à la cour : Apelle, que bon nombre de gens
considéraient comme le plus grand peintre du monde entier.
Philippe lui avait demandé de le
représenter aux côtés de la reine, avec toutes les retouches et les
embellissements nécessaires, pour un portrait officiel destiné au sanctuaire de
Delphes. Mais Olympias refusa de poser auprès de son époux, et Apelle dut
l’épier de loin pour effectuer les croquis préparatoires.
Le résultat final enthousiasma
toutefois Philippe, qui lui commanda un portrait d’Alexandre. Celui-ci s’y
opposa.
« Je préfère que tu fasses le
portrait d’une amie, lui dit-il. Nue.
— Nue ? interrogea Apelle.
— Oui, sa beauté me manque
quand je suis au loin. Il faut que tu effectues un tableau qui ne soit pas trop
grand, car je désire l’emporter en voyage. Mais je veux qu’il soit très
ressemblant.
— Tu auras l’impression de la
voir en chair et en os, mon seigneur », assura Apelle.
Ainsi, Campaspé, qui était selon
l’avis de certains la plus belle femme de Grèce, posa nue, dans toute sa
splendeur, devant le plus grand des peintres.
Impatient d’admirer le résultat
d’une rencontre aussi extraordinaire, Alexandre s’enquérait chaque jour des
progrès du travail. Mais il s’aperçut bien vite qu’il n’y en avait pas, ou
presque : Apelle ne cessait de multiplier les croquis pour ensuite les
effacer.
« Ce tableau est comme la toile
de Pénélope, observa le jeune homme. Qu’est-ce qui ne va pas ? »
Apelle était à l’évidence
embarrassé. Son regard allait de son magnifique modèle à Alexandre, puis
revenait vers la jeune femme.
« Qu’y a-t-il ? répéta le
prince.
— Le fait est… Le fait est que
je ne peux pas supporter l’idée de me séparer d’une telle beauté. »
À son tour, Alexandre observa le
maître et Campaspé. Il devina qu’ils ne s’étaient pas seulement occupés d’art
au cours de ces longues séances. « J’ai compris », dit-il. Il songea
alors à Leptine, dont les yeux étaient continûment rougis par les larmes, et
pensa qu’il ne manquerait pas de belles femmes à l’avenir, s’il le désirait. Il
se dit aussi que sa maîtresse devenait chaque jour plus impertinente et plus
exigeante. Il s’approcha alors du peintre et lui murmura à l’oreille :
« J’ai une proposition à te faire. Tu me laisses le tableau et je te
laisse la fille. Naturellement, si elle n’a rien à redire.
— Oh, mon seigneur, balbutia le
grand artiste envahi par l’émotion. Comment te remercier. J’ai… j’ai… »
Le jeune prince lui donna une tape
sur l’épaule. « L’important, c’est que vous soyez heureux et que le
tableau soit réussi. » Puis il ouvrit la porte et sortit.
Philippe et Alexandre se rendirent à
Corinthe vers la fin de l’été et furent hébergés aux frais de la cité. Le choix
de ce lieu ne relevait pas du hasard : c’était à Corinthe que les Grecs
avaient juré de résister à l’envahisseur perse, cent cinquante ans plus tôt, et
c’est là que devait être ratifiée la nouvelle alliance qui unirait tous les
Grecs du continent et des îles dans une grande expédition en Asie. Une
entreprise gui ferait pâlir le souvenir de la guerre de Troie, dont Homère
avait chanté la gloire.
Dans un discours plein de passion
qu’il tint devant les délégués, Philippe rappela une nouvelle fois les phases
de la querelle opposant l’Europe et l’Asie, sans négliger les épisodes de la
mythologie.
Il évoqua les morts de Marathon et
des Thermopyles, l’incendie qui avait détruit l’Acropole d’Athènes et ses
temples. Quoique vieux de plusieurs générations, ces événements étaient
toujours vivants dans la culture populaire, notamment parce que la Perse
n’avait jamais cessé de s’immiscer dans les
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