Le Roman des Rois
comme nous le souhaitons. »
Innocent III ne cède pas. Il continue de refuser le divorce :
« Je comprends à la rigueur, écrit-il à Philippe Auguste, que vous puissiez vous excuser, auprès de ceux qui ignorent le fond des choses, de ne pas la traiter comme votre femme ; mais vous êtes inexcusable de ne pas avoir pour elle les égards dus à une reine… Dans le cas où quelque malheur lui arriverait, à quels propos ne seriez-vous pas exposé ? On dira que vous l’avez tuée, et c’est alors qu’il vous sera inutile de songer à une autre union. »
Mais Philippe Auguste, le Conquérant, n’est pas homme à admettre qu’on le traite comme un vassal. Or il a le sentiment que le pape Innocent III se considère comme le suzerain des rois et des empereurs. Et les dénégations du Saint-Père ne changeront rien à cette opinion.
« Comment peut-on croire que le souverain pontife veuille faire tort à la France, la préférée de l’Église, la royauté d’Europe la plus chère au siège apostolique ? » lui a écrit le pape.
Mais alors, pourquoi Innocent III soutient-il en Allemagne la candidature à l’Empire du Saxon Otton de Brunswick, neveu et allié des Plantagenêts ?
Philippe Auguste rappelle le refus du pape d’admettre son divorce d’avec Ingeburge, mais, désormais, il y a bien plus grave. Il s’agit des intérêts du royaume capétien :
« Le tort que vous m’avez fait, à moi personnellement, écrit Philippe Auguste, je l’ai supporté sans rien dire. Mais la
mesure que vous allez prendre en faveur d’Otton est de nature à nuire à ma couronne, à léser gravement les intérêts de la royauté de France, et voilà ce que je ne tolérerai jamais.
« Si vous persévérez dans votre dessein, nous serons obligés d’agir en temps et lieu, et de nous défendre comme nous pourrons. »
C’est en ces termes que Philippe, roi Très Chrétien de France, s’adresse au souverain pontife.
quatrième partie
(1208-1214)
« Seigneurs, je ne suis qu’un homme, mais je suis roi de France, vous devez me garder sans défaillance. Gardez-moi, vous ferez bien. Car, par moi, vous ne perdrez rien. Or chevauchez, je vous suivrai et partout après vous j’irai…
« Tout pécheurs que nous soyons, nous sommes en bon accord avec les serviteurs de Dieu et défendons dans la mesure de nos forces les libertés des clercs. Nous pouvons donc compter sur la miséricorde divine.
« Dieu nous donnera le moyen de triompher de nos ennemis qui sont aussi les siens ! »
P hilippe A uguste
à ses barons, le dimanche 27 juillet 1214, quelques instants avant que ne commence la bataille de Bouvines.
25.
« Je me suis agenouillé devant Innocent III, successeur de l’apôtre Pierre, évêque de Rome, et je lui ai humblement tendu la lettre que mon suzerain, Philippe Auguste, m’avait chargé de lui remettre. J’ai gardé la tête baissée jusqu’à ce que, d’un mot, il m’invite à me relever. J’ai croisé alors pour la première fois le regard du souverain pontife, et il était si courroucé, aussi tranchant que peut l’être une lame aiguisée, que j’ai aussitôt rebaissé la tête. »
Ainsi commence la chronique que mon aïeul Henri de Thorenc consacre à ce qu’il appelle des « années de sang ».
Innocent III, poursuit Henri de Thorenc, était entouré de ses cardinaux et il allait de l’un à l’autre, les dévisageant, les forçant eux aussi à se soumettre à son regard.
Puis le souverain pontife est revenu vers moi et, d’une voix rude, il a dit, détachant chaque mot :
« Le roi de France, le Très Chrétien, a-t-il oublié que l’on a égorgé mon légat, Pierre de Castelnau, d’un coup de lance dans une hôtellerie des bords du Rhône, et que l’assassin est un écuyer du comte de Toulouse ? Le roi de France doit, comme tous les souverains et leurs chevaliers, punir celui qui a ordonné cet acte sacrilège. Et sais-tu ce que me répond le roi de France ? Bien sûr, tu ne l’ignores
pas, et peut-être même est-ce toi qui as écrit ces lignes de ta main ? »
Il agitait devant moi le parchemin.
Le pape ne se trompait pas.
Au reçu de la demande du souverain pontife de lancer les chevaliers français contre le comte de Toulouse, Philippe Auguste avait réuni ses barons et ceux qui, comme moi, avaient le privilège d’être interrogés par lui et conviés à lui donner leur avis.
Je savais que le roi songeait souvent à ces terres que
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