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Le Roman des Rois

Le Roman des Rois

Titel: Le Roman des Rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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existe des « serfs perpétuels », juifs, qui ne sont pas nos frères parce qu’ils seraient réputés être les meurtriers de Jésus.
    Ce sont des « scorpions » !
    Or, pour moi qui ne l’avoue pas à mon père, ce sont là aussi des hommes, « nos frères ».
    J’ai lu Guillaume de Chartres, chapelain de Saint Louis, qui l’a accompagné en croisade et qui écrit :
    « Quant aux Juifs, odieux à Dieu et aux hommes, le roi les avait en telle abomination qu’il ne les pouvait voir et qu’il voulait que rien de leurs biens ne fût tourné à son profit, déclarant ne rien vouloir retenir de leur venin… Quant à moi, disait le roi, je veux faire ce qui m’appartient au sujet des Juifs. Qu’ils abandonnent les usures, ou bien qu’ils sortent tout à fait de ma terre pour qu’elle ne soit plus souillée par leurs ordures… ! »

    Peut-on ainsi parler d’êtres humains, et cependant organiser de grands tournois de paroles et de savoirs entre chrétiens et rabbins ?
    Louis se défiait d’ailleurs, il est vrai, de ces affrontements.
    « Le roi, un jour, me dit mon père qui tenait ce récit de Jean de Joinville, conta une grande dispute de clercs et de Juifs au monastère de Cluny. Un chevalier hôte du monastère se leva et demanda au plus grand maître des Juifs s’il croyait que la Vierge Marie fût mère de Dieu. Et le Juif répondit qu’il n’en croyait rien.
    – Vous êtes donc fou, repartit le chevalier, d’être venu sans croire à la Sainte Vierge et sans l’aimer dans sa maison.
    Et il abattit le Juif d’un coup de bâton sur la tête. Ainsi finit la dispute…
    Et je vous dis, avait ajouté le roi, que nul, s’il n’est très bon clerc, ne doit disputer avec ces gens-là. Le laïc, quand il entend médire de la loi chrétienne, ne la doit défendre que de l’épée, dont il doit donner dans le ventre tant comme il y peut entrer. »

    À plusieurs reprises, mon père avait vanté les ordonnances édictées par le roi en 1230, puis en 1234, concernant les Juifs.
    Celle de 1234 remettait aux débiteurs chrétiens le tiers de leur dette envers les Juifs, et laissait ceux-ci sans recours.
    En 1230, le roi n’avait que seize ans. En 1234, à peine vingt. Était-ce lui qui décidait ? Je voudrais ne pas le croire.
    Mais, en 1254, Louis en a quarante. Il est le maître du royaume. Blanche de Castille est morte depuis deux ans déjà. Or l’ordonnance de cette année 1254 ordonne que les Juifs renoncent à leur usure, à leurs sortilèges, aux caractères hébraïques de leur écriture. Et que soit brûlé le Talmud, leur livre saint.
    Mais l’Ancien Testament ne nous est-il pas commun, à nous, chrétiens, et à eux, Juifs ? Pourquoi tuer ceux-ci ?
    Car celui qui brûle les livres comme un routier brûle aussi les hommes qui les ont écrits et ceux qui les lisent.
    Et je ne crois pas que Dieu le veuille.
    47.
    Mon père a paru deviner les questions qui me tourmentaient à propos de la conduite du roi.
    Il saisit mes poignets, les serre entre ses mains froides et osseuses. Je tremble, car il me semble sentir la mort en lui, toute-puissante, qui ne lui laisse qu’un maigre ruisselet de vie. Mais sa voix est nette, les mots s’y heurtent comme des dents qui s’entrechoquent :
    – Louis voulait souffrir pour Dieu, dit-il. Il mortifiait son corps, portait un cilice. Il se faisait administrer la discipline par ses confesseurs avec cinq chaînettes de fer. Et il insistait pour qu’on le frappe fort, parfois jusqu’au sang. Il se privait, par esprit de pénitence, de ce qu’il aimait : les fruits, les poissons bien gras, les énormes brochets. Il refusait le vin ou bien le coupait d’eau pour réfréner son appétit de cette boisson. Il se forçait à boire de la bière, qu’il détestait. Il versait aussi de l’eau dans ses sauces quand elles étaient bonnes.
    Le Seigneur est mort en croix, une couronne d’épines perçant son front et ses tempes, et l’on rechercherait le plaisir en ce monde ? disait-il.
    Le vendredi, il ne riait jamais et ne mettait pas de chapeau, en souvenir de la couronne d’épines.
    Mon père s’est interrompu, m’a dévisagé :
    – Voilà ce que le roi choisissait de vivre, lui, l’élu de Dieu, respectueux de la Sainte Église, couchant seul sur un lit de bois avec un maigre matelas pour s’interdire d’approcher la reine.
    Il est resté silencieux, puis a murmuré : « Je te parlerai d’elle, Marguerite de Provence. »

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