Le Roman des Rois
tard il a repris :
– Louis voulait que sa vie ne fût pas une offense au Calvaire, une apostasie, une félonie à l’égard de Dieu. Il était le défenseur de la foi, le protecteur de l’Église, son chevalier. Et il se montrait impitoyable envers tous les « bougres », ces hérétiques qui avaient trahi la vraie foi. Pour eux, point de pitié ! Lorsqu’il a écrit ses Enseignements pour son fils, il lui a recommandé de « chasser de son royaume, selon son pouvoir, les bougres et autres mauvaises gens pour que sa terre en soit bien purgée ». Il ne fallait pas que les adeptes de la foi chrétienne soient infectés par la tache de la perversion, par cette pourriture qu’est l’hérésie, cette peste, cette lèpre. Mais il conseillait aussi de prendre le conseil de bonnes gens qui lui dirait ce qu’il fallait faire.
Ces « bonnes gens », moi, Hugues de Thorenc, je n’ai nul besoin que mon père les nomme.
Ce sont ces inquisiteurs que j’ai vus à l’oeuvre tout au long de ma vie.
Je sais que la justice du roi exécute les peines de sang fixées par les juges ecclésiastiques que, sous le règne de Saint Louis, le pape Grégoire IX désigne.
Mais, à écouter mon père évoquer l’un des premiers inquisiteurs, un ancien cathare surnommé Robert le Bougre, je vois sa trace sanglante. Et sa cruauté me donne la nausée.
Robert le Bougre agit au nom du pape, mais par la volonté du souverain.
Il est escorté par les sergents du roi. Il parcourt pendant six ans le Nivernais, la Picardie, la Flandre, la Champagne. Les accusés n’ont pas connaissance des témoins qui les accablent. Ils doivent avouer, et on leur applique la question aussi bien qu’aux témoins.
On brûle, on enterre vivant.
Le 29 mai 1239, au Mont-Aimé, en Champagne, Robert le Bougre envoie au bûcher cent quatre-vingt-trois hérétiques.
Le comte Thibaud de Champagne assiste à cet autodafé, suivant ainsi l’exemple de la comtesse de Flandre qui avait voulu voir se consumer les « bougres » à Douai, l’année précédente.
Robert le Bougre fut déclaré fou, puis reprit ses fonctions avec d’autres inquisiteurs – eux aussi dominicains – qui sévissaient, tel le frère Bernard de Caux, le « marteau des hérétiques ».
« Le roi, murmura mon père, ne souhaitait pas le bûcher pour les hérétiques. Il voulait que ces félons de Dieu, ces ferments de perversion soient chassés afin que brille dans tout le domaine royal la vraie foi. »
Mon père se signa et, quand je le fixai, il baissa les yeux, puis répéta que Louis ne voulait que purger son royaume du poison, mais que son devoir était de faire exécuter les sentences des tribunaux de l’Inquisition.
Il se signa à nouveau et j’ai mesuré là sa gêne, peut-être son remords et sa repentance.
Je ne l’ai pas repris en objectant que les inquisiteurs condamnaient le plus souvent leurs accusés au bûcher.
Que témoignages et aveux étaient arrachés par la question.
Qu’on brûlait d’abord et pardonnait ensuite.
Était-ce là imitation de Jésus-Christ ?
N’était-ce pas malheur que de voir les sergents royaux et les archers conduire les condamnés de l’Inquisition jusqu’aux flammes ? Et n’était-ce pas honte que de savoir que les biens de ces « bougres », ces apostats, ces hérétiques, étaient confisqués pour une large part au bénéfice du Trésor royal ?
Je me suis tu et ai préféré m’agenouiller auprès de mon père, priant pour lui et pour le roi.
48.
Le roi était entré dans sa vingtième année. Évoquant ce temps, mon père prit un ton solennel et dit :
« L’an de grâce de Notre Seigneur 1234, huitième année du roi Louis et vingtième de son âge, il désira avoir un fruit de son corps qui tînt après lui le royaume, et voulut se marier non pour cause de luxure, mais pour procréer une lignée. »
Mon père a répété ces mots et je compris qu’il souhaitait par là me faire songer à mon propre mariage, car c’était pour lui une souffrance que de quitter ce monde sans avoir l’assurance que la lignée des Villeneuve de Thorenc se poursuivrait après moi.
Mais je n’avais, en 1271, que quinze ans et ne songeais point à prendre femme.
« Le roi, reprit-il, et Blanche de Castille choisirent l’aînée des filles du comte de Provence, Raymond Bérenger. Elles étaient quatre soeurs, toutes de grande beauté, issues de la maison de Provence et, par leur mère, de la maison de
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