Le sac du palais d'ete
rasé. La rumeur courait depuis longtemps que Hong et ses Princes avaient levé pas moins de quarante régiments qui comptaient chacun deux mille cinq cents femmes, ce qui représentait près du quart de l’effectif total de ses forces armées. Le gros des troupes féminines était constitué par des hakkas ainsi que par des Miao. Habituées aux travaux pénibles, celles-ci étaient d’une robustesse légendaire. Au sein de ces deux groupes ethniques, la coutume de casser les pieds des petites filles était proscrite. Ces combattantes, qui étaient par conséquent parfaitement mobiles, étaient réputées plus cruelles encore que les hommes, n’hésitant pas à achever systématiquement les prisonniers pour ne pas s’embarrasser à les garder. Comme exemple de la redoutable efficacité de ces terribles amazones, Bowles avait souvent entendu citer le cas d’une certaine Yang Ergu, adepte du lancer du poignard qui ne ratait jamais sa cible et transportait toujours avec elle un sac de vingt couteaux de sept pouces de long…
Légèrement en retrait, un régiment masculin était déployé, dont le commandant tenait à la main quatre bannières de couleurs différentes : rouge, noire, blanche et jaune.
— Que signifient les couleurs de vos bannières ? s’enquit Bowles qui hésitait à sortir son carnet de dessin de peur d’effaroucher son petit guide moustachu qui n’avait pas l’air d’un plaisantin.
— Nos bannières sont des ordres. Lorsque nous hissons la bannière noire, nos hommes savent qu’ils doivent attaquer et tuer l’ennemi. À défaut, ce sont eux qui sont tués. Quant à la bannière rouge, elle signifie qu’ils doivent incendier. Le drapeau blanc est celui de la paix : lorsque nous le hissons, nos troupes doivent approvisionner les pauvres gens en vivres.
— Et la bannière jaune ?
Une lueur de cruauté traversa le regard de Yang Xiuqing lorsqu’il répondit à Bowles :
— La bannière jaune est celle du combat pour la survie de notre mouvement. Lorsqu’elle est hissée, nos hommes sont autorisés à piller, à voler et même à arracher des biens par le supplice ! Nos armées étant nombreuses, les hommes, les femmes et les enfants qui la composent doivent pouvoir manger suffisamment pour être en état de combattre !
Le Prince de l’Orient avait fait cet aveu à Bowles sans la moindre gêne. Les Taiping avaient beau prôner la charité chrétienne, ils n’étaient pas des enfants de chœur…
Après avoir franchi l’une des portes des remparts de la ville, Yang fit entrer les deux hommes dans le salon de réception d’une maison sévèrement gardée où les attendaient Shi Dakai, le Prince Coadjuteur, ainsi que Wei Changhui, son homologue du Septentrion. Les Princes en question étaient fort dissemblables. Le premier, impressionnant par sa haute taille et sa corpulence athlétique, avait la peau foncée comme s’il était d’origine malaise. Le second, un homme maigrichon à la laideur simiesque et au teint terne, était affublé d’un visage osseux ainsi que d’un crâne pointu du plus mauvais effet. Une fois les présentations faites, le Prince du Septentrion demanda brusquement aux deux Anglais s’ils croyaient en Dieu. Bowles fit signe à Meadows de répondre.
— La Grande-Bretagne est une nation de religion chrétienne. Sa Majesté Victoria préside en personne aux destinées de l’Église anglicane ! bredouilla l’interprète, qui cachait mal la gêne que lui occasionnait une entrée en matière aussi bizarre que brusque.
— Tous les nez longs anglais adorent donc le Dieu tout-puissant ? insista Wei Changhui qui n’arrêtait pas de se moucher.
— Oui ! Tous sans exception ! lança Bowles, qui savait fort bien quelle réponse le chef Taiping souhaitait entendre.
— À la bonne heure ! Dans ce cas, une entente est possible entre l’Angleterre et le Céleste Royaume ! poursuivit le Taiping avant de bombarder ses deux visiteurs de questions relatives à la façon dont on disait la messe en Grande-Bretagne.
Au bout d’une demi-heure d’échanges de nature théologique où tant Bowles que Meadows s’étaient contentés de répondre par l’affirmative aux assertions de leurs interlocuteurs, le dessinateur, jugeant que le moment était venu d’entrer dans le vif du sujet, leur déclara, après s’être raclé la gorge :
— Sir George Bonham, représentant plénipotentiaire en Chine de Sa Majesté la reine
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