Le sac du palais d'ete
brûlait d’envie de le visiter, demanda alors à son guide :
— Pourrais-je jeter un simple coup d’œil à l’intérieur ?
— L’entrée du Camp des Enfants est strictement interdite aux adultes. Si vous souhaitez avoir un aperçu de ce qui s’y passe, veuillez me suivre ! expliqua le Taiping avant d’entraîner les Anglais au deuxième étage d’un immeuble mitoyen d’où la vue sur la cour où jouaient les enfants était imprenable.
Charmant spectacle que celui de ces gosses dont les plus jeunes, vêtus de couleurs vives, s’amusaient à la balle ou chantaient en faisant la ronde, tandis que les plus âgés, assis sagement au pied d’un arbre, buvaient les paroles de leur maître d’école ! Bowles était tout retourné par la vue de cet îlot de bonheur surgi comme par miracle d’un océan de mort et de souffrance, où des enfants insouciants vaquaient tranquillement à leurs occupations…
C’est alors qu’il remarqua, au milieu d’un groupe de tout-petits dont les plus jeunes devaient avoir à peine un an, la silhouette d’une Taiping qui ne ressemblait à aucune autre. La femme en question leur ouvrait ses bras et les bambins riaient à gorge déployée, dressés sur leurs petites jambes encore flageolantes. Non loin d’elle se tenait un jeune homme qui n’avait pas l’air de bien coordonner ses gestes et mimait la ronde des enfants en se dandinant. John Bowles se demandait pour quelle raison son intérêt s’était porté sur cette femme, lorsqu’il aperçut ses longs cheveux blonds…
Il ne pouvait s’agir ni d’une Han ni d’une Miao, vu sa toison d’or.
Le journaliste n’en croyait pas ses yeux mais l’évidence s’imposait : une femme d’origine occidentale était hébergée par les Taiping, y jouait le rôle d’une puéricultrice et participait à leur épopée !
Lorsqu’il livrerait l’information dans le Weekly , à n’en pas douter, elle ferait l’effet d’une bombe ! Il imaginait déjà la manchette : « Une étrangère de son plein gré chez les Taiping ! » barrant fièrement la une de son bimensuel. De quoi donner des frissons à toute la colonie occidentale présente en Chine !
Le concours de circonstances qui avait amené cette jeune femme en ces lieux ne pouvait qu’être inouï…
Fébrilement, il scruta son héroïne de façon plus intense. Sous ses airs de rêveuse adolescente, il lui semblait l’avoir déjà vue. Les talents d’éducatrice de la belle inconnue ne faisaient pas de doute. Il la suivit des yeux avec gourmandise, alors qu’elle allait d’un bambin à l’autre, infatigable, rayonnante, aimante et joyeuse, consolant celui-ci, calmant celui-là et faisant rire tel autre, selon ce qui se présentait.
Soudain, il eut un choc.
C’était à la jeune Anglaise dont la mère était morte chez le pasteur, à Laura Clearstone, que ressemblait la jeune femme !
Il reconnaissait maintenant sa silhouette élancée et les longues mèches dorées qui encadraient son beau visage aux traits réguliers. L’émotion qui le gagnait était si intense qu’il dut poser la main sur le rebord de la fenêtre.
Laura Clearstone habitait chez les Taiping ! Laura Clearstone était peut-être devenue une Taiping. Il n’en croyait pas ses yeux et pourtant, c’était bien elle qui se penchait avec tendresse vers ces petits hakkas !
N’y tenant plus, il prit Yang à part et lui demanda à voix basse :
— Qui est cette nez long qui s’occupe si bien des enfants ?
— Une jeune Anglaise à laquelle le Tianwan demanda de traduire de l’anglais les Saintes Écritures ! Elle habite avec nous depuis longtemps et fait partie intégrante de notre famille.
— Ne s’appelle-t-elle pas Laura ?
— C’est son nom. Elle a un frère…
— Joe !
— Mais dis-moi un peu, il semblerait que tu la connaisses ! s’écria le Prince de l’Orient, méfiant.
John, bouleversé, répondit d’une voix étouffée et tremblante, comme s’il livrait à Yang un secret d’État :
— Je l’ai croisée, il y a bien longtemps… À vrai dire, j’aimerais beaucoup lui parler. Elle doit avoir plein de choses passionnantes à raconter…
Le Prince de l’Orient, qui jugeait avec sympathie la manifestation d’un tel intérêt, se dérida et répondit à son invité :
— Dans ce cas, il te faut attendre que Laura ait achevé son service. Plus tard, en soirée, ce devrait être possible.
— Ce soir, hélas !
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