Le sac du palais d'ete

rejoint Changsha, la capitale du Hunan, contre laquelle l’armée du Céleste Royaume menait une vaste offensive destinée à lui assurer le contrôle de cette province, il s’y était enrôlé comme simple soldat avant de grimper les grades quatre à quatre en raison de son courage et de son abnégation. Après la chute de cette ville, il avait combattu à Yangzhou, une autre cité opulente du Hunan qui était tombée comme un fruit mûr. À la tête de son détachement, il s’était emparé d’un convoi de cinquante jonques bourrées de céréales destinées à la cour de Pékin avant de rejoindre le reste de son régiment qui stationnait face au « grand camp nord du fleuve » d’où les troupes impériales se préparaient à lancer leur attaque sur Nankin. Aux abords de l’ancienne capitale de la Chine, Sérénité Accomplie, dont le goût pour la chose militaire s’affirmait de jour en jour, n’avait cessé de harceler les Mandchous, en visant spécialement leurs convois de ravitaillement dans le but de les affamer. Son acharnement avait payé. Au bout de trois mois d’une intense guérilla, les impériaux avaient été contraints de battre piteusement en retraite, abandonnant aux Taiping leurs embarcations et leurs armes lourdes, ce qui avait ouvert la voie à la prise de la ville. Suite à ces glorieux faits d’armes, le Prince de l’Orient Yang Xiuqing avait remis à l’antiquaire ses étoiles de général de brigade en présence du Tianwan.
    Si Bowles en avait eu la force, il n’aurait pas hésité une seconde à croquer l’impérieuse silhouette de Sérénité Accomplie dont l’uniforme parfaitement ajusté et entretenu tranchait avec les défroques rapetassées de ses hommes qui, tels des moutons face au loup, regardaient leur chef d’un air craintif.
    —  Transportez-le à l’abri ! ajouta celui-ci.
    Avant que John ait pu faire un geste, on l’étendit sur une civière puis on le transporta dans la grange où Mesure de l’Incomparable lui avait avoué qu’il souhaitait quitter la Chine pour l’Angleterre en compagnie de Jasmin Éthéré. En mémoire du défunt qui avait sacrifié sa vie pour la sienne, il devait absolument la prévenir.
    —  L’homme auquel je dois d’être ici sain et sauf aimait pardessus tout une femme qui a pour nom Jasmin Éthéré. Je me dois de la contacter pour lui annoncer la terrible nouvelle ! lâcha-t-il, tandis que le médecin dépêché sur les lieux par Sérénité Accomplie commençait à l’examiner sous toutes les coutures.
    —  Vous avez bien dit Jasmin Éthéré   ? rugit, estomaqué, Sérénité Accomplie.
    —  Tel est le nom que me cita le jeune colonel. Il était follement épris de Jasmin Éthéré. Il me parla de son corps, souple comme une liane. Elle est contorsionniste.
    —  J’ai bien connu une jeune contorsionniste qui portait le même nom. Ce ne peut être que la même personne… Où se trouve-t-elle   ? murmura le général antiquaire, sous le choc.
    Sérénité Accomplie, qui avait abandonné toute sa superbe, ne pouvait s’empêcher de penser au désespoir de Tang lorsque Jasmin Éthéré avait disparu. Une nouvelle fois, une vague de remords le submergea.
    —  Le colonel m’a expliqué qu’elle travaille à la Chancellerie de la Guerre.
    —  Je vous y conduirai dès mon retour à Nankin. Après-demain au plus tard. Je dois aller rendre compte au Prince de l’Orient.
    —  Jasmin Éthéré semble très proche de la jeune femme anglaise que le Tianwan a recueillie auprès de lui.
    —  Mme Clearstone…
    —  Vous la connaissez   ?
    —  Qui n’a pas entendu parler de Laura Clearstone ! Son cas fait l’objet de discussions passionnées entre les militaires de haut rang. Certains reprochent au Tianwan de la protéger, d’autres, au contraire, se félicitent de la présence d’une nez long au Céleste Royaume ! soupira Sérénité Accomplie qui ne portait pas spécialement les Occidentaux dans son cœur.
    Un soldat se pencha sur l’épaule du général Sérénité Accomplie dont le visage se figea dans une moue réprobatrice.
    —  Le Prince de l’Orient nous rend une visite inopinée. Je n’aime pas trop ce genre de circonstances… souffla-t-il, tandis que John, épuisé par les moments qu’il venait de vivre, s’assoupissait enfin.
    Une demi-heure plus tard, au son des cymbales et des tambours, Yang Xiuqing, suivi par sa garde rapprochée, faisait son entrée au village de Zhongyong.